becky with the good hair

Une mèche entortillée autour du doigt, elle pousse un soupir et grimace.
Les douleurs au ventre sont revenues, alors qu’elle a expulsé ce fœtus la veille ; et ça commence à la fatiguer, que ses tripes n’encaissent pas un avortement. Elle a gobé des cachets pendant une semaine, et a attendu – non, redouté – ce moment étrange où ce qui aurait pu être ne sera jamais. Les remugles de sa culpabilité (et quelques rares remords) se sont néanmoins dissipés, pour aussitôt se fracasser contre les remparts de son indifférence, tandis que, désinvolte, elle tirait la chasse d’eau sur une erreur inachevée qui ne manquerait à personne, surtout pas à elle. Elle avait allumé une cigarette, s’était assise par terre, étourdie, du sang entre les cuisses et du vide lui mordant les entrailles.
Ça arrive, c’était un accident.
« Melina ? »
La voix l’extirpe de sa léthargie et elle se rend compte qu’elle fixe, depuis un bon moment sans doute, la carte des entrées. Le serveur feint une patience polie — elle se doute que, comme elle, son job l’emmerde.
« Tu as choisi ? Tonio est gentil. Tellement gentil qu’il la gonfle, désormais. La crise de la cinquantaine le rattrape, il doute de tout et de rien, énumère ses regrets et ses erreurs, et elle n’a aucune solution à lui apporter. Il lui fait terriblement pitié.
– Je vais… Elle s’en fout, il lui faudrait cinq autres minutes pour déchiffrer une calligraphie pareille. Comme toi. »
De toute façon, les hommes, ils aiment qu’on les imite, que leur choix apparaisse comme le plus sensé, qu’on flatte leur ego. Qu’elle légitime naïvement leur illusion de souveraineté machiste. De catin à princesse, il n’y avait qu’un pas — et une robe. Quelque chose d’élégant, de neuf, afin que le quidam du coin envie l’homme attablé à ses cotés, et ne s’aperçoive pas qu’il privilégie sa pute à sa mégère. Tonio la couvrait de saloperies clinquantes en tout genre. Il l’avait même traînée jusqu’à Monaco une fois. C’est un régulier friqué, elle ploie l’échine par courtoisie. Il l’aime bien, trop ; il a dû tomber amoureux. Ce soir, elle a relevé ses cheveux pour lui, s’est déchaussée sous la table, promène ses orteils sous le revers de son pantalon, minaude.
(Elle n’aurait pas dû accepter le dîner. Elle aurait dû supplier, ramper, mendier une journée, quelques vingt-quatre heures encore, de repos. Un client pareil, ça ne s’annule pas, elle perd de l’argent – elle leur fait perdre de l’argent.)
Les nausées l’assaillent, mais elle dissimule son malaise sous des airs aguicheurs, qui suffise à dissiper le doute, ne serait-ce que fugace, du prétendant. Elle louche sur le verre de vin rouge, puis sur l’eau, pourrait dégueuler d’une minute à l’autre si quoique ce soit trouvait le chemin de son œsophage.
« Tu peux m’excuser un instant ? » (Bien sûr qu’il va l’excuser – il paye, mais c’est elle qui va devoir affronter sa trique baveuse. Il en a conscience, que la vision seule de son lombric desséché est la cause des insoutenables céphalées de sa bourgeoise.)
Retour à la case départ, penchée au-dessus des chiottes. Et putain, ça la brise. Elle recrache de la bile amère, échappe quelques larmes qui, dans leur sillage, se teintent de son mascara bon marché. C’est un gouffre béant, suintant, qui lui ravage l’estomac, un vide lancinant – elle se demande si elle n’est pas simplement bouleversée, fatiguée, si elle n’en a pas marre, de croiser ces maris infidèles, ces paumés en quête de réconfort, ces connards sans scrupules. C’est un jour comme celui-ci, où une drôle de tragédie l’a frôlée, qu’elle ose pleurer plus fort que d’habitude. Demain, elle aura oublié. Demain, elle mettra des baskets, pas des talons, et demain, tout sera différent. Melina, elle a conscience qu’elle ne vaut pas grand-chose, et qu’elle n’est pas très douée pour prendre sa vie en main. On ne lui a pas vraiment appris aussi. Dommage collatéral d’une société qui se casse la gueule, elle est tombée entre les mains du mauvais type, au mauvais moment, au mauvais endroit, et ça s’arrête là. Parce qu’il n’y a pas d’histoire, parce que c’est la faute à pas de chance, parce que la vie a vitriolé son innocence et quelques rêves épars, c’est tombé sur elle comme ça aurait pu tomber sur une autre. Peut-être est-ce justement son insignifiance qui la blesse, et le rôle qui lui est échu dans cette satire grandeur nature qu’est la belle Florence, celui d’une rien du tout. Ils défilent entre ses cuisses, la chaleur humaine ne lui manque (l’étouffe) et pourtant, elle demeure désespéramment seule, étrangère à son propre corps, la caboche bourrée d’idées d’ailleurs. Pourtant, de l’espoir, elle en garde, là, au creux de ses billes mordorées où grésille une insolente farouche, et c’est obscène, qu’une pute se permette d’être optimiste.
Elle se sent mieux. Bordel – et dire qu’elle méprisait Tonio et ses sempiternelles crises existentielles. Elle se relève, sort de la cabine, chancèle, mais se rattrape au rebord d’un lavabo encastré dans un bloc de marbre. Ose croiser le regard sombre du reflet hagard que lui renvoie le miroir. Le robinet crachote un filet d’eau (elle met une éternité à comprendre qu’il suffit de passer la main dessous pour le déclencher, maugrée une insulte contre ces nantis et leurs installations foireuses). Elle se débarbouille, fouille sa minaudière à la recherche d’un tube de rouge à lèvres. Inspire, expire, crève d’envie de cloper. Une ligne de cocaïne l’aurait dépannée.

Elle n’avait jamais avorté avant.

Je t'avouerai que j'attendais la fin de la fiche avec impatience (j'avais peur que tu partes, pas avec un personnage pareil ça aurait été inadmissible ) et voilà que je fonds encore plus sur la beauté de ta fiche, c'est ton personnage qui m'émeut tu ne sais même pas comment, mais il est tellement bien construit et elle semble vivre sous tes mots, tes mots qui sont terriblement poétique enrobés dans une vulgarité qui rend le texte encore plus fort. Je crois que je suis amoureuse de ton personnage vraiment. Je ne parlerai pas de l'histoire qui m'a donné des sueurs froides tellement c'est réaliste et super bien ficelé

On va dire que le gif est totalement en relation hein   Félicitations, tu es validé(e). Avant de franchir les portes de Florence, voici quelques conseils qui pourront t'aider à survivre. D'abord, il te faut VÉRIFIER TON AVATAR DANS LE BOTTIN pour avoir la certitude qu'aucun double, maléfique ou bénéfique, ne vienne te voler ton visage. Ensuite, tu peux aller CRÉER TA FICHE DE LIENS ET DE RPS afin de ne pas terminer en âme noire et solitaire. Pense à faire un détour par la LISTE DES METIERS. Tu peux aussi CRÉER UN SCÉNARIO et peut-être retrouver un visage de ton histoire, une personne avec qui survivre et mourir dans ce chaos. Enfin, si tu veux te détendre et oublier les sombres mémoires du passé, tu peux aller FLOODER avec les autres florentins. Mais n'oublie pas, il faut toujours se méfier de son voisin, ici. Alors, bon courage et bon jeu.