(+) une étoile dans le ciel

" Pourquoi t'es seulement une pute Maman ? " Eh bien oui Maman, pourquoi t'es une pute alors que les autres mamans elles sont institutrices ou infirmières ? Pourquoi tu vends ton corps comme une loque décharnée alors que tu pourrais tellement être plus ? T'es tellement plus à mes yeux Maman. T'es une étoile, t'es haut dans le ciel. Pourquoi t'es tombée si bas ? Hein, dis-moi ? Pourquoi ? Parce que t'as visé de trop hautes étoiles, tu t'es loupée et t'as raté le nuage d'amortissement par la même occasion ? Il est où le problème ? Parce que t'es belle Maman. Tu illumines mes jours et mes nuits. Tu m'as appelée Stella mais en vrai c'est toi l'astre qui rayonne. Tu rayonnes avec ton rouge à lèvre rose saumon et ta mini-jupe rouge pour ce soir. Tu vas hameçonner des hommes parce que tu rayonnes. Tu as ce charisme qui les attire. C'est tout le bien que je vois en toi qui les attire, comme des mouches. Moi je vois la grâce quand tu enlèves ton string. Ta beauté après une nuit passée entre deux rues à attendre ton prochain gagne-pain. C'est ta démarche chaloupée grâce à tes hauts talons que tu les accostes ces hommes et que tu les fais tomber sous ton charme. Une histoire d'amour en une fraction de seconde. Quelque chose beau et délicat. Alors Maman, toi qui es si belle, pourquoi tu es seulement pute ? Pourquoi tu n'es pas vendeuse ou encore mieux, ministre ? Pourquoi tu n'es pas la personne de mes rêves ? Pourquoi tu n'es pas comme ça ? Pourquoi tu ne te tartines pas de Chanel n°5 le matin avant de partir travailler ? Pourquoi Papa n'est pas toujours là ? " Tu me saoules avec tes questions petite conne. Ferme-la. "
C'est placide. C'est tranchant. Ca brise le coeur d'une enfant de dix ans. Ca le brise tout en entier et ça lui fait baisser les yeux.
Regard qu'elle ne relèvera jamais. Pas sans l'aide de ses deux comparses.

Je m'accole contre le mur. Je fusionne presque avec lui. Je me recroqueville tant bien que de mal. J'essaye de disparaître. Maman est partie pisser a t-elle-dit. Elle s'est sûrement roulée une clope et elle s'enfume. Elle s'enfumer pour oublier sa profonde vie de merde, sa ruelle étroite qui lui appartiendrait presque. Moi je fais le guet. Il ne faudrait pas que l'on rate un client, c'est mauvais pour les affaires. Papa nous en voudrait. Papa nous giflerait si une fois encore, on allait devoir voler au supermarché car sinon, c'était le banquier assuré. Il fallait de l'oseille et pour avoir de l'oseille, il fallait rester. Il fallait devenir le prédateur. Moi, je préférais me coucher, je préférais m'effacer, ne plus exister. Devenir invisible aux yeux de ses hommes qui me reluquaient. Invisible à leur regard, à leurs mains caleuses qui se frottent à ma cuisse. Le contact entre ma peau nue et la dureté de leurs paumes est comme un électrochoc. Une secousse, une blessure de plus. Ces attouchements c'est une ouverture de plus dans l'estime de soi. Une cicatrice car c'est un corps que l'on me vole. Un corps utilisé, manipulé. Seulement un corps. Corps vu comme un objet, quelque chose que l'on achète et que l'on jette ensuite.
Ce corps, on le prend, on l'utilise, on en profite et on le jette ensuite. On s'y attarde mais seulement une paire de minutes. On s'y attarde en attendant que la matrone revienne. Et cette dernière met toujours beaucoup de temps à revenir dans ces moments-là. Car un client content, c'est un client qui paye bien. Payer bien dit payer plus et payer plus dit dettes remboursées et ceci débauche sur un père heureux. Heureux parmi ses innombrables bouteilles que l'on paye chèrement. Plus chèrement que la bouffe en conserve. Parce que tout vaut cher en ce bas monde. Sauf ce corps que l'on cueille dans la fleur de l'âge. Ce corps de pré-pubère qui vaut bien moins qu'un pack de bière bon marché.
On prend ce corps et on le marchande.
Et on brise l'estime d'une gamine de treize ans dans la fleur de l'âge.

" Tu dessines bien. " Je relève brusquement la tête, j'en sursaute. J'étais là, sur mon muret, mon trieur sur les genoux, une feuille de papier dessus et je dessinais. Mais je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un vienne. Je ne m'attendais pas non plus à ce que quelqu'un prenne le temps de regarder mes gribouillages. Ces gribouillages, ces ratures sur une feuille de papier, tout le monde s'en fichait. Qui pouvait bien s'en intéressait de toute façon ? Le professeur d'arts plastiques à la rigueur mais pas ma mère, pas mon père. Ils avaient des choses bien plus intéressantes à faire. Rameuter de l'argent par exemple. Je regarde furtivement le brun. Un peu plus âge, assez mignon. Le genre de garçon qui ne peut pas s'intéresser à mes deux coups de crayons. " Je peux voir de plus près ? " L'air finit par manquer. Voir ? De plus près ? Parce que ce n'est pas assez moche de loin donc il faut se rapprocher du désastre ? Je baisse la tête mais finit par tendre le tout. Il l'empoigne, inspecte avec attention. J'en profite pour me fumer une clope. Parce qu'il faut occuper ses mains inutiles. Parce qu'il faut fuir ce regard. Son regard est toujours porté sur le torchon et moi je brûle mes sentiments dans cette cigarette. J'évacue l'angoisse en tirant sur le bâton de mort. Parce que ça fait longtemps que j'évacue le stress en m'intoxicant les poumons. Parce qu'il faut bien échapper l'angoisse quelque part. Il faut qu'elle en aille. Il faut qu'elle déploie ses ailes hors de mon corps. " C'est, c'est rien je te jure. C'est seulement dessiné à la vite, je ne faisais pas attention... Et puis c'est venu comme ça, je ne sais pas vraiment comment. C'est passé dans ma tête et.... J'ai pris le crayon, je ne sais même pas pourquoi. J'avais juste besoin d'évacuer. Mais c'est qu'un brouillon. " Bafouillage à propos d'un gribouillage. Mais elles sont là les séquelles du manque d'estime de soi. Elle a disparu l'estime. En même temps que ces mains ont agrippé le bord de ma jupe pour la descendre et voir en-dessous. La tête est vissée sur les épaules, le regard est fuyant, les paroles sont peu claires. Minimisation de soi, dévalorisation, tout y est, tout est au complet. " Mais non, c'est bien. Les traits sont un peu courbes mais ça s'atténuera si tu pratiques. " Révélation. C'était sûrement la première fois que l'on regardait réellement ce que je faisais. On prenait son temps pour inspecter les défauts. Mais surtout les défauts, on les soulevait avec gentillesse. Pour aider, pour améliorer. Parce qu'il y avait quelque chose à améliorer. Cela en valait la peine. C'est seulement ce point que j'ai retenu de cette histoire: j'en valais la peine.
Ce garçon, cet adolescent, c'était Romeo. Romeo, le magnifique. Romeo, celui qui m'a prise et il m'a amenée. Il m'a amenée loin de tout, loin de tout ça. Loin de cette vie merdique, loin de ces mains baladeuses. Loin des injures, loin des remarques. Il m'a sauvée. J'avais seize ans, je m'en rappellerai toujours de ce jour-là. C'est certainement le jour le plus beau. J'avais seize et j'avais enfin une vie devant moi.

" Mais c'est quoi cette merde ? On peut pas dire que ce soit un pro comme moi qui ait fait ses mouettes. " Je lève les yeux au ciel. Cette étoile filante a toujours ce petit mot d'amour, la connerie à dire, toujours. Il pointe du doigt mon premier tatouage avec cet air presque enfantin. Cet air fier d'avoir trouvé sa bêtise à dire. " Je sais que tu es débile mais, pour ta gouverne, ce sont des hirondelles. Et même que regarde, il y en a un, deux et trois ! Magique non ? " Je le prenais à son propre jeu en le traitant comme le pauvre demeuré qu'il pouvait être.  Il se pencha un peu plus sur ma peau, presque assidu, minutieux. Ma peau qui allait se recouvrir un peu plus. Ma peau ce chef d'oeuvre. Ma peau qui montrait ces blessures un peu enfouies. Et cette peau, il allait la marquer. Une première fois. Alors, il me souris une dernière fois et commença son travail. Son travail d'artiste, le travail pour lequel il était fait. Il a commençait à graver à l'encre mon histoire, un troisième tatouage. Un moment infini, un moment de candeur. Ecrire sur ma peau, montrer ma force, mes faiblesses à travers ma peau était un exutoire. Je pouvais vivre grâce à lui, grâce à Romeo. Ils avaient été mes sauveurs. Sauveurs de la prostitution, ils m'avaient ensuite portée dans leur monde. Leur monde de courbes et d'arabesques. Le monde du dessin, celui du tatouage. On était pas des lumières mais ensemble, on était beaucoup plus beaux. On rendait le ciel plus beau. Ils avaient rendu ma vie plus belle. Ils lui avait permis d'exister, à cette vie. Parce qu'avec eux, le temps s'étire. Il se magnifie même. " Voilà, tu peux admirer le résultat. " Je me lève et me dirige vers la glace. Je regarde le résultat. Je souris. Je vois le triangle, cette tri-force gravée sur moi et je souris. Parce qu'à trois, on est plus forts. Parce qu'à trois, on existe toute simplement. " Bienvenue dans la famille. "
Parce que se faire tatouer est un rite de passage. Parce qu'on est lié maintenant. A vie je le crois bien. On est encore jeune dix-neuf, dix-sept ans mais on est liés.

Eh, salut mon mignon ! Ca te dit de jouer avec moi ? " Je m'avançai vers lui. Telle une tigresse. Telle une prédatrice. Parce que j'étais en chasse. Parce qu'il me fallait un mec comme lui. Un mec dans la fleur de l'âge. Un mec beau, un mec fort. Un mec en bonne santé. Il faisait du sport. Il s'entretenait et ça se voyait. Le sport ne voulait rien dire en matière de santé mais les statistiques le prouvaient: les gens sportifs sont moins malades. Et moi, j'avais besoin d'un foie en bonne santé. J'avais besoin de deux reins forts et vigoureux. J'avais besoin d'organes en parfaite santé. Et lui, avec son polo noir, à errer dans les bars à une heure aussi tardive, il semblait parfait. Parfait pour se faire ouvrir le bide. Parfait pour se faire éviscérer. Mais au moins, c'était pour la bonne cause. Il allait sauver plusieurs personnes. Des personnes assez riches pour se payer un organe mais on ne fait pas de différence dans le monde médical. On ne fait aucune différence dans ce monde. Certains forçaient seulement un peu plus les choses. Pas de quoi en faire un drame. Autres statistiques: les gens riches sont en meilleur santé que les plus pauvres. Alors autant offrir un organe au plus offrant, il servira plus longtemps.
Elle était loin maintenant la Stella qui se cachait dès qu'on osait poser un coup d'oeil de trop sur sa peau. Elle était loin et tant mieux. Elle était loin de tout ça. Elle était maintenant en apparence cette chasseuse d'homme. Chasseuse pour son prince ramasseur d'organes: Romeo. Celui qui soulevait son coeur depuis le début. Son premier sauveur. Son prince inaccessible. Son prince handicapé des sentiments. Ce prince qu'il fallait attendre. Attendre que son coeur et son corps s'ouvrent. S'ouvrent à elle purement et simplement. Alors, en attendant la Stella de vingt-quatre ans se rabat sur l'étoile filante. Faute de mieux, elle se rabat vers la passion. Elle se rabat sur le plaisir d'une nuit partagée. Rapide mais avec beaucoup d'éclats. Assez d'éclats pour faire tenir son coeur et son lit trop vide. Jusqu'au profond. En espérant que la prochaine fois la bonne. En espérant que la prochaine fois, Romeo pose ses yeux sur elle. Et bien plus encore. Il faudrait qu'ils posent le corps, qu'ils fusionnent dans une étreinte brûlante.
Elle voudrait vivre un amour qu'elle lui refuse. Elle voudrait pouvoir faire vivre cette flamme qui l'a faite survivre. Elle l'aime, elle bouillonne pour lui mais, il se refuse à toute relation sérieuse et passionnée.