Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu;
Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu
(rimbaud, le mal)
Étrange la chair, étrange la peau, étrange le sang dans les veines. Étrange les muscles qui comme neige se dénouent. Étranges les nerfs inertes, étrange sa pensée absente ou simplement assoupie dans le temps suspendu, dont il était, lui, le maître. Le temps de Nazario. La saison la plus vive de toute une vie. Recommencement infini. Quelques journées durant lesquelles ses rêves et espérances atteignaient leur apogée, avant de commencer, aussitôt après, leur lent déclin.
LE PÈRE -
Verrochio. Un rictus et quelques blagues mal placées.
Le temps permet d'oublier, les tumultes incertains d'une vie trop bien rangée avaient fait de Cesare Vechorrio un homme faible. Il tenait le gamin dans ses bras. Ses épaules, ses bras qui semblaient porter tous les maux de ce monde. Victime d'un système qu'il n'avait jamais compris. Victime de l'intelligence des autres. Victime de sa propre bêtise. Son père ne l'avait jamais mêlé aux intrigues d'une famille. Cadet sans personnalité il se laissa écraser par le poids de la vie. Alors dans la peur d'un quelconque jugement il acquiesçait toujours.
Oui, oui et oui murmurait-il le visage blême face aux autres. Affirmation terrorisée d'un faible. On ne l'aimait pas. On se moquait de lui. Son épouse elle-même n'occupait plus depuis longtemps leur lit. Virilité oubliée et moquée. Faiblesse d'esprit ou esprit faible. La question se posait. Il avait pour frayeur la vision du sang. Il aspirait à vivre dans une douce naïveté. Mais l'enfant aux yeux clairs dans ses bras lui ne quittait pas les regards. Il toisait, se méfiait en dévisageant à la fois son porteur et les hommes face à lui. Il aurait fallut un monde pour ne pas voir cette différence dans leur regard. Le gamin a faim. Dit une fois un homme à son père. Tant de colère. Répétaient les vieilles à son approche. Le père hocha la tête sans rien dire. Il y avait dans son regard une peur évidente. Peur du fruit de ses entrailles. Peur de son sang.
Indifférente fut sa réactions face à cet enfant nerveux, la boule de nerfs prête à imploser au moindre choc. Cesare l'aimait tendrement mais faiblement. Le gamin eu rapidement l'ascendance sur le père et on commença à se méfier du fils. Les mains abîmée il œuvra pour son nom. Les os broyés et les dents arrachées. Il se perfectionnait dans cette danse macabre. La vue du sang l'émoustillait. Jeune éphèbe aux traits durcis, il trouvait dans la violence l'exutoire parfait à sa révolte intérieure. Guidé par ses instincts. Guidé par des promesses de gloire murmurées au creux de son oreille. Cette danse il l’exécutait parfaitement. Soldat il grinçait des dents. La lame s'enfonçant souvent avec rage dans la chair.
Patience. Lui murmurait la douce aux yeux si tendre.
Tout sera à toi, à nous. L'épouse maligne le soutenait aveuglement. Rêveuse d'un statut de reine, d'une couronne, d'un royaume. L'ambition le dévorait et lui pourrissait doucement les entrailles tout comme elle nourrissait ses fantasmes.
Personne ne daigna prévenir le prince de la mort du roi. Ni la sœur ambitieuse, ni la mère dévoreuse.
Seul, les mains pleine de sang lorsqu'un homme lui murmura ces quelques mots. Mort. L'inespérée délivrance.
La mort avait quelque chose d'effrayant pour le fils. Les mains sur le volant rouge écarlates. Excitation furieuse du taureau face au rouge. La cigarette au coin des lèvres. Sentiments mêlés. Une joie masquée côtoyant allégrement sa cousine la rage coutumière.
La folie si proche. Frôlant les regards. S'insinuant dans les esprits.
Mais seuls les rires dans la vieille voiture résonnèrent entre les hommes.
La pièce familière n'était plus. Sa mère le serra sans crainte, son regard figé sur ses mains pleine de sang lui arrachèrent un juron. Pauvre mère, obligée de porter le noir pour un homme qu'elle maudissait chaque jour. Elle ne l'aimait pas, ni lui ni les enfants qu'elle lui avait fait par surprise. Les apparences. Plus que tout. L'honneur au dessus de l'envie. Sa sœur ne bougeait pas, encapuchonnée dans une cape de dentelles noires elle sauvait l'honneur d'un père qu'elle haïssait en reniflant bruyamment. Ses faibles mains touchant le costume de ce père allongé dans l'éternité. Quelques cousins et les têtes du clan. Les apparences eux-aussi. Ils ne pleuraient pas. Murmurant à qui voulait entendre des plans. Des intrigues. Des projets.
Les projets fusèrent sans tenir compte du cadavre encore chaud qui siégeait devant eux. Aucun respect dans leur voix. Aucune crainte. On entendit le nom de la sœur. Elle, le diamant Verrochio comme héritière. Acclamée par son époux napolitain, acclamée par les sots. Puis le nom d'un cousin confiant. Des mains levées, un sourire sur ses lèvres et des acclamations bruyantes. La couronne était libre, les princes à l’ego en péril allaient se battre ce soir pour sa gloire. Il la voyait. Là, face à lui, tremblante et scintillante à la fois. Cette gloire mainte fois rêvée. Cette gloire mainte fois méritée. Les mains tremblantes et sales. On oubliait l'héritier. On la lui volait là, devant lui. Le baiser de l'épouse fidèle sur sa joue comme un encouragement. Ses yeux plongés dans les siens. Ses pas rassurés vers l'attroupement d'hommes. Sourire aux lèvres. Le cousin confiant mimant lui aussi un sourire. Une étreinte. Un hoquet bloqué. Le sourire désormais ensanglanté. La lame affûtée s'enfonçant dans ses côtes. Pardon. Son indistinct au coin de l'oreille. Les portes closes. La chute du corps entraîna l'éveil de l'homme.
Tous sous-estimèrent l'homme un par un. Tous furent condamnés. Aucun jugement. Aucun jurés ne vinrent les aider. Il devint à la fois juge et bourreau. Tous détruits. Tous disparus.
La vision de la mort dans la pièce s'incarnait en une multitude de corps. On admirait la précaution. On admirait la précision. Sa lame écarlate. Les flaques foncées sur les carreaux. L'harmonie côtoyant le désordre. Plus. Il en fallait toujours plus. Un regard au gorille lui indiqua la fin de son délire carnassier. Sa main libre plongeant dans les cheveux de son aîné lui exprimant sans mot son exigence. Regarde et admire fils. Neuf ans lorsque ses yeux clairs dévisagèrent la scène. Splendide mise en scène dont le roi se délectait.
Ce qu'il faut faire pour la famille.
Ce que je fais pour nous.Combien était-il. Indistincts morceaux de chair il était impossible de distinguer leur nombre.
Treize. Murmura le nouvel héritier. Chiffre maudit pour eux. Traîtres. Judas. La main se décala sur le haut de son crâne, remerciement silencieux du père. Un signe de main rapide du roi. La lame s'essuyant doucement sur un chiffon de soie. Fidèle amie. Les gorilles entrèrent sans un mot, sans un sourire, sans une remarque. L'héritier lui se dégage doucement de l'étreinte paternelle. Incompréhensive est la violence pour les enfants. Il retourna vers la porte sans un regard. Le roi ne le retint pas. Au loin les cris de la sœur et de la mère. Un soupire.
Tout détruire pour tout recommencer.LE FILS -
Ils te ressemblent trop.Venimeuse est la parole des mères.
Tes fils mourront pour te plaire, pour te rendre fier. Ses yeux imbibés de larmes, sa voix brisée.
Tu ne leur promets que du sang Nazario. Une gloire tâchée. Le feu dans son regard.
Tu ne me promets que les larmes. Les larmes se mêlant au sang.
Une gloire impure brûlée sur le bûcher par l'impudente.
L'ambitieuse reine se tourna emportant avec elle sa rage, laissant sa couronne près de lui. Le roi désormais seul, perdu se demande l'utilité de tout ceci. Sa conscience le questionne. L'humanité n'a plus sa place dans son cœur.
Vaincre ou mourir. Pas d'alternative possible.
LE SAINT-ESPRIT -
Expression incertaine sur son visage. Il se crispa et une onde étrange lui parcouru l'échine.
La mort frappe et ne pardonne pas.
Les limbes. Les ténèbres si souvent côtoyés lui parurent familiers.
Vieilles amies. Il caressa son étreinte comme on embrasse une mère. Il l'avait cherché mille fois sans jamais la rencontrer de si près. Sa curiosité fut rassasiée lorsque son corps heurta le sol dans un fracas sans nom. La respiration se bloquant peu à peu. Son sang coulant doucement dans ses bronches. La chaleur du sang lui brûlait les poumons.
Il apercevait ce visage pâle aux traits tremblants.
Le gris de l'arme scintillant à la lumière.
L'agitation autour de lui. Un hurlement. Puis le néant.
La pression de son cœur le brûlait. Brasier dans sa poitrine. La toux lui emprisonnait les bronches.
Deux trous dans sa poitrine dont il traçait les contours avec son doigt. Trois jours. Trois jours à nager dans le néant. A attendre une absolution qui jamais n'est venue.
On salua l'exploit. Personne ne pouvait survivre à cela. Revenu d'entre les morts il avait accomplit l'exploit. Il avait nargué la mort. Au-dessus du reste. Invincible. Indestructible.
Il faut tuer l'émissaire. Une voix dans les limbes. Un sourire brisé. L'épouse ne pleurait pas. Sérieuse elle trônait à ses côtés, essuyant amoureusement le front de l'époux.
Tue la gamine. Tue les tous. Mais tue la gamine d'abord.Agacement sur les traits de Nazario. Il la poussa doucement.
On ne tue pas les enfants. Jamais.Impérieuse était sa voix. Rauque et transpercée par la fatigue il toussa.
Elle servira. D'une manière ou d'une autre.La reine soupira, impuissante elle s'en alla avec hâte.
Esquissant un sourire sa main accrochant le costume de l'homme à sa droite.
L'enfant vivra. Détruit le père. Détruit le clan. L'homme acquiesça sans répondre. Le couperet était tombé. A sa gauche l'enfant dormait. Les tuyaux salvateurs transperçant ses bars. Des mèches couleur de feu lui tombant sur le visage.
Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.Un murmure plus qu'une prière. Croyance mal placée. Superstition absurde.
Amen