(n.f) LA MORT

Elle est libre. Les gardes-du-corps ne sont plus sur ses talons. Dans ses chaussures vernies, Aurea s'enfuit, court, court, court toujours plus vite, toujours plus loin, éclats de rire résonnant dans les rues d'une Florence en pleine effervescence. On regarde cette petite fille de dix ans bousculer les passants, ses cheveux sombres comme la nuit contrastant avec son regard brillant et sa robe blanche immaculée avec un mélange d'agacement et d'hilarité. Qui est-elle donc, cette heureuse petite vagabonde, que la silhouette qui l'observe dans l'ombre s'apprête à briser ? [...]

 « […] et ton enculé de père a buté ma femme. Tu te rends compte ? » La voix perfide de l'homme lui arrache un nouveau sanglot.  « C'est quoi enculé ? » qu'elle demande, du haut de ses dix ans et de toute sa naïveté. Elle a déjà entendu ce mot là chez elle, prononcé par quelconque homme imbibé par l'alcool, cigare aux lèvres, chahutant avec d'autres, hurlant de leurs rires graveleux qui ont bercé ses nuits les plus sombres. Personne n'a jamais voulu lui dire ce que ça signifiait. La main de l'homme s'abat sur sa joue. L'enfant bascule avec une facilité déconcertante. Sa tête heurte le radiateur, et elle s'évanouit sur le champ. [...] Aurea est attachée à la tête du lit métallique qui grince dès qu'elle remue. Mais en réalité, elle ne peut pas beaucoup bouger. Les cordes paralysent ses poignets. Ses bras, restés accrochés au dessus de sa tête trop longtemps, sont engourdis et elle ne les sent même plus. Aurea a horriblement mal à la tête. Courageusement, elle la relève pour tenter d'apercevoir l'homme qui l'a frappée. Tout ce qu'elle aperçoit, c'est le sang qui tâche sa robe, un peu plus bas. Elle laisse échapper un gémissement de douleur. Son ventre la fait souffrir, elle ne s'en rend compte qu'à présent et la souffrance provoquée par le coup sur la tête lui semble soudain bien désuète. Alors elle fond en larmes, encore. Elle supplie qu'on vienne le sauver, l'arracher à cet enfer. Elle ne comprend pas pourquoi elle saigne et pourquoi elle a si mal, ni même ce qu'elle a fait de mal. Il entre dans la pièce, vient s'asseoir à ses côtés. Son marcel blanc est tâché, ses cheveux sont en bataille, il pleure lui aussi. L'une de ses mains est refermée sur le goulot d'une bouteille de whisky, l'autre sur une cigarette. Il porte l'un et l'autre à ses lèvres succinctement, en grognant.  « J'voulais pas en arriver là, tu sais. C'est toi, tu m'as ... Puis ton père, quel enculé. » L'homme avale une longue gorgée de whisky. Aurea panique.  « Je veux rentrer chez moi. » supplie-t-elle, les joues collées par les larmes, la morve dégoulinant de son nez jusqu'à sa minuscule bouche. Elle meurt de faim, de soif, se pisse dessus à cause de la frayeur. Le monstre, ça l'énerve qu'elle geigne. Alors il appuie sa cigarette sur son bras, de toutes ses forces. Et Aurea crie encore plus fort, et pleure encore plus fort.  « Jamais, tu m'entends ? Y a plus de chez toi. Ma femme reviendra pas, donc toi tu rentreras pas. Tu vas rester avec moi. Il m'a pris ce que j'avais de plus cher, je lui prends ce qu'il a de plus cher. »  « Alors vous vous êtes trompé. Je ne suis pas ce qu'il a de plus cher. » Il part dans un rire sardonique.  « Les femmes ont toujours été la plus grande faiblesse des hommes, ma douce. » [...]

Lorsqu'il est vraiment ivre, il lui dit qu'elle deviendra sa femme, un jour. Pour remplacer l'ancienne. Elle subit ses coups et ses caresses malvenues et malsaines avec son corps d'enfant qui ne peut rien faire d'autre qu'affronter la folie d'un homme désespéré. Aurea, elle fait semble de comprendre. De se laisser berner. De se laisser dompter, d'oublier d'où elle vient et qui elle est. Peu à peu, elle arrête de parler. Elle sourit comme une idiote, se contente d'acquiescer ou secouer la tête. Ca semble le satisfaire qu'elle soit aussi docile et vulnérable, et il n'en fait pas cas d'état. Il ne se rend pas compte, le pauvre idiot, qu'il est le seul qui se laisse berner. Bientôt, elle gagne sa confiance, obtient même l'autorisation de quitter la pièce pour manger et aller aux toilettes. Il suffit de s'emparer du couteau à viande posé sur le comptoir, le planter dans son ventre comme elle a vu tant de fois faire les employés de son père sur les cadavres qu'on rapporte entre les murs de leurs hôpitaux illégaux, récupérer la clé dans sa poche, échapper à sa poigne de fer qui se referme dans le vide, planter encore le couteau dans sa cuisse, tourner la clé dans la serrure et s'échapper en hurlant pour alerter les voisins, les voitures, le monde entier. C'est ainsi qu'Aurea Verrochio retrouve sa liberté, couverte de sang, de pisse, de crasse, puante, brisée.

Quelques jours seulement ont passé depuis le début de sa captivité. Mais pour Aurea, c'est comme avoir disparu pendant une éternité. Tout lui semble différent, des choses aux gens. Elle ne comprend plus vraiment ce qu'on lui dit, n'arrive ni à répondre aux questions, ni à se concentrer. Elle ne croise plus les regards, se met à hurler à tue-tête quand on la touche. Pendant douze longues années, Aurea se plonge dans le silence le plus complet, incapable de prononcer le moindre mot, ni même de murmurer. Sa voix est morte avec elle, le quinze mai 1999.

RAPPORT PSYCHOLOGIQUE PATIENTE #4520 AUREA VERROCHIO a écrit:

Nous sommes face à une jeune femme fortement traumatisée.
Les thérapies et le traitement médical ne présentent qu'une maigre amélioration.
Comportement impulsif, réactions parfois démesurées, agressivité physique.
Parle extrêmement peu, se contente de réponses courtes ou de signes de tête.
Apprentissage extrêmement rapide. Paradoxalement douée dans l'apprentissage des langues malgré sa réticence à parler. Parle pas moins de cinq langues : italien, français, anglais, arabe et chinois. Apprentissage du russe en cours.
Présente une intelligence remarquable. Q.I largement supérieur à la moyenne. Résultat au test : 141.
Douée dans l'apprentissage de toutes les formes d'art. Plus sereine lorsqu'elle joue de la guitare, du piano ou du violoncelle.
Pas de relation sentimentale et/ou sexuelle connues. Refuse tout contact physique ou affectif. Se renferme ou se met à crier lorsqu'on l'y force. Déclare ne ressentir ni amour ni désir pour qui que ce soit. Bloquée au stade d'enfant de dix ans.
Déclare avoir quelques amis de longue date avec qui elle pratique des activités de gens de leur âge. Bon signe.
Cicatrices et brûlures de cigarettes sur le corps. Se sent mal dans son corps, dit « se trouver laide », n'a aucune confiance en elle.
Tendance à la paranoïa. Regarde souvent autour d'elle ou derrière elle, même dans une pièce fermée et vide comme mon bureau, où personne ne peut entrer.
Insomnies, cauchemars. Prend des somnifères qui finissent par ne plus avoir d'effets. Prend des anti-dépresseurs en trop grand nombre malgré nos contre-indications.
Sérieuse dans son travail et ses tâches quotidiennes.

Aurea avale une nouvelle bouchée de viande en silence. Autrefois, ses frères lui faisaient croire que c'étaient les morceaux des cadavres des victimes des Verrochio, qu'ils mangeaient. Elle a bien essayé de devenir végétarienne, en vain. Son père et ses frères sont en grande discussion. Comme d'habitude, elle se tait et se contente de les écouter. Elle ne déteste pas ces réunions familiales, quand bien même elle ne semble pas particulièrement emballée. Ca ne l'empêche pas de sourire de temps à autre, et d'intervenir quand elle a quelque chose de vraiment pertinent à dire. Ca la rassure de les avoir à ses côtés. Elle aime que son enculé de père pose les yeux sur elle. Aurea se demande toujours s'il y a un peu d'amour ou de fierté derrière ce regard froid, ou si elle n'est à ses yeux qu'une ratée. Elle a envie de ses bras. C'est bien le seul dont elle veut l'amour et l'affection. Cet homme pour lequel elle a enduré les pires horreurs qu'un enfant puisse connaître. Peut-être qu'il est son salut, qui sait. La dernière barrière à franchir pour recommencer à vivre et laisser derrière elle les horreurs de son passé. Lui qui ne lui a jamais offert étreinte, jamais dit qu'il l'aimait. En croisant son regard, elle baisse silencieusement les yeux vers son assiette et recommence à manger, les joues écarlates et le cœur qui bat la chamade. A vingt-sept ans, Aurea Verrochio n'est encore une enfant qui a besoin d'un père pour grandir.

C'est trop beau, c'est trop triste, c'est trop émouvant non mais... cette histoire, ce personnage, bizarrement je dirai même qu'elle met un peu de fraicheur sur le forum, des personnages magique, bon comme ça sur No church se font rares mais alors, c'est vraiment une petite perle, ce que tu as fais d'elle. Je suis genre trop curieuse de lire tes rps, de la voir évoluer. C'était un grand plaisir de redécouvrir ta plume

On va dire que le gif est totalement en relation hein Félicitations, tu es validé(e). Avant de franchir les portes de Florence, voici quelques conseils qui pourront t'aider à survivre. D'abord, il te faut VÉRIFIER TON AVATAR DANS LE BOTTIN pour avoir la certitude qu'aucun double, maléfique ou bénéfique, ne vienne te voler ton visage. Ensuite, tu peux aller CRÉER TA FICHE DE LIENS ET DE RPS afin de ne pas terminer en âme noire et solitaire. Pense à faire un détour par la LISTE DES METIERS. Tu peux aussi CRÉER UN SCÉNARIO et peut-être retrouver un visage de ton histoire, une personne avec qui survivre et mourir dans ce chaos. Enfin, si tu veux te détendre et oublier les sombres mémoires du passé, tu peux aller FLOODER avec les autres florentins. Mais n'oublie pas, il faut toujours se méfier de son voisin, ici. Alors, bon courage et bon jeu.