love me like a reptile | D. Lanfredi

Elle s’agite, elle s’étouffe, elle se noie sur le plancher qui craque quand il s’approche. Le liquide au goût de rouille finit par jaillir d’entre les pulpeuses fendues. Aucun son ne parvient à s’évader de ses lippes meurtries, pourtant elle a mal, tellement mal. L’autre la domine, il prend place, ce n’est pas la fin et ça le fait rire. La gamine est ailleurs. Il crache dans sa main et la passe entre ses jambes avant de s’agiter et d’haleter comme un sanglier. Elle arrive à peine à rester consciente. Ce n'était pas censé se passer de cette manière. Elle connaissait la violence des hommes, elle l'avait bercé toute sa vie. C'était le jeu. Pourquoi tant de peur alors ? Pourquoi tant de surprise ? Elle aurait ri d'elle-même en une autre occasion. Il est comme les autres, il aime la violence inutile, il aime voir la gamine morfler. Il a continué, continué encore pour l'entendre crier, la voir se mettre à chialer, mais elle n'a pas bronché, alors il est allé plus loin. Trop loin. Tant pis pour elle. Le visage tourné, elle voit le ciel s'agiter à travers la fenêtre maculée de crasse. Ce n'est pas vraiment le ciel qui s'agite elle le sait, c'est juste elle, elle qui convulse, elle qu'on chevauche. Ça fait longtemps qu'elle a appris à endurer sans broncher. Sa mère, sa tendre mère qui aimait la poudre autant que les aiguilles, avait tant de dettes qu'elle avait bien tôt envoyé des hommes s'adonner aux plaisirs interdits avec l'enfant encore intacte. Enfermée dans sa chambre, la plupart du temps au beau milieu de la nuit, ils passaient et repassaient. Comme tout enfant qui craint la nuit tombée, la venue de monstres griffus sortis de placards devenus effrayants dans l'ombre de la nuit déformante ou de sous son lit, elle elle n'avait pas à les imaginer, chaque soir ils venaient la visiter. Elle ne comprenait même pas au début, elle était si petite. Maintenant elle a compris, elle a tout compris, pas la peine de lutter. Dans sa tête toujours la même idée malgré elle ; ce n'était pas censé se passer de cette manière. Il devait faire en sorte que rien ne lui arrive, mais rien. Elle est seule. Impossible de faire fonctionner le moindre de ses membres. L’autre finit s'en prendre la peine de se retirer à temps. Petit sanglier, petit porc. Renifle et se rhabille, fier de lui, pas de culpabilité sur les traits du pourceau. Il se tire sans même payer, déjà certain qu'avec ce qu'il lui a mis elle ne se relèvera plus. Le tableau est cru, il ne laisse pas de place à l'imagination. Les meubles retournés, les vêtements arrachés, le corps meurtri et le visage défoncé. Bientôt la blessure à son crâne donnera plus de soucis aux petites femmes de ménages que le tas de poussières qui recouvrent la pièce. La crinière trempée dans la flaque rouge qui grossit, elle sent son corps devenir glace et les soubresauts se meurent pendant que le monde se voile.

Les bruits tout autour, jamais elle ne parvient à les saisir. Tout s'agite, tout tremble dans sa tête. C'est une course folle en elle, elle cherche une sortie, elle veut se réveiller, se lever, juste bouger. Prisonnière de sa chaire, elle n'a de notion de rien. Les où, les quand, sont des paramètres qui lui échappent. Elle ne peut pas être morte. Si c'était cela, ce serait bien pire que jamais personne n'aurait pu l'imaginer ou le décrire. L'enfer comme elle l'avait entendu par maintes fois décrit lui aurait été préférable. Ça, ce néant, cette incertitude du tout, c'était trop insupportable. Non, impossible, son cœur bat toujours elle en est certaine. Respirer, continuer à respirer, ne jamais s'arrêter. La mort tentatrice devra attendre car sa sœur ennemie a toujours sa préférence. Oh oui elle est plus laide, elle est cruelle, mais rien à foutre elle est à elle ! Elle n'a jamais été lâche, elle n'a jamais abandonné. L'espoir très peu pour elle, elle prend ce qu'on lui donne et elle gère comme une reine, reine des putains peut-être, mais reine tout de même. Elle fait du rien, le plus précieux des biens, alors même si elle s'en prend plein la gueule, hors de question de se laisser aller dans les bras de la faucheuse. Si elle les tend elle les lui arrachera et s'en fera des rames pour remonter le Styx. Pas la peine de faire le déplacement, elle lui ferait chèrement payer d'avoir osé penser qu'elle pouvait capituler. Elle n'est qu'une enfant, elle n'est qu'un bout de rien, une petite fleur de macadam, une chose fébrile qu'on écrase du talon, elle le laisse ouvertement croire... mais si on l'écrasait on s'en transpercerait le talon. Elle s'extirpe de son au-delà de pacotille. Son corps se meut, ses doigts s'agitent ne rencontrant plus la raideur du parquet qu'elle a laissé derrière elle. Ce ne sont pas de belles choses qui l'attendent elle le sait, nul rêve, nul sentiment, nul avenir scintillant, juste son petit univers décrépi, perverti, sali, son univers quand-même. Il aurait beau tout à fait pu continuer de tourner sans elle, elle n'est pas prête de le laisser. Pas si vite, pas si tôt. Il devra attendre et la supporter encore un peu, juste le temps qu'elle finisse d'user son âme juvénile et que plus aucunes envies de lutter ne l'habitent. Ça y est elle ressuscite.

Les yeux ouverts, les yeux fermés.
Le monde est devenu nuit éternelle.
Elle a quatorze ans.