Mi perdoni, padre, perché ho peccato. Cela fait un an que je ne me suis pas confessée. La voix est tremblante et résonne bien trop dans le petit confessionnal. A l'extérieur la pluie s'éclate sur les pavés. Quelques fidèles ont trouvé un abri à l'intérieur de la petite église de Santa Rita. D'autres rougissent de leur audace, d'avoir ainsi chercher refuge alors qu'en temps habituel ils préfèrent descendre quelques verres de vin le dimanche en pensant à la messe qu'ils ont loupé mais à laquelle ils assisteront la semaine suivante. Une promesse proférée mais jamais respectée... sans doute. Les plus émerveillés se félicitent d'avoir ainsi répondu à l'appel divin, à ce mauvais temps révélateur qui, pour quelque raison obscure, les a mené sous le toit du Seigneur. Malgré la petite foule qui commence à se presser, l'endroit rester étrangement silencieux, équilibre tantôt brisé par quelques bruits de pas ou un toussotement rauque. Elle s'est écarté avec prudence, regardant curieusement la vieille femme assise à l'orgue découverte qui effleure les touches avant de se relever. Peut-être pourrait-t-elle assister à la messe, mais le jour n'est pas à ce genre de prévision. Il faudra attendre avant de pouvoir entonner avec le chœur, anonyme parmi la foule, quelques uns des chants que recèlent les petits ouvrages disposés sur les bancs.
Distraite, la jeune fille s'empresse de faire le signe de croix, s'approchant de la paroi, tendant l'oreille comme si elle craignait que la moindre parole ne lui échappe. Dans sa robe déchirée, trempée, ses cheveux d'un roux terni dégoulinant dans le confessionnal, la jeune femme est un peu pitoyable, mais qu'importe. Ce n'est pas pour faire bonne impression qu'elle est ici, mais pour le
pardon, pour alléger son cœur bien lourd. Un juron lui échappe, quelques bruits étouffés lui parviennent de l'autre côté de la cloison. Le silence qui s'ensuit est le coup de départ. Elle ouvre la bouche puis la referme. Voilà qu'elle hésite, répétant l'opération à plusieurs reprises avant d'oser murmurer quelques mots.
- Bénissez-moi, mon Père,
parce que j'ai péché...***
Il y a cette odeur entêtante de fleurs. Les premiers souvenirs olfactifs des enfants sont souvent l'odeur de leur mère, mais pour la fillette c'était ce fumet envahissant. C'est son monde. Chaque pierre, chaque pot de fleurs, chaque torchon égaré, voilà son empire. En plus du couple et des héritiers, quelques autres Di Fiore gravitent autour. Il y a les oncles, les tantes, ceux qui adhèrent à cette foule de fidèles unis par le sang. Il y a aussi les époux et quelques amis, qui ont déclaré l'extérieur impie afin de retrouver la sagesse démesuré qu'offre le clan. Dés son plus jeune âge, l'extérieur est diabolisé. Il y a
nous et les
autres. Pourtant, dans "
nous", il y a aussi Prosèrpina.
L'affront incarné. La venue au monde de l'enfant est l'aboutissement d'une longue série de rejetons engendrés par le couple Di Fiore, après Pietro et la petite Maddalena, la voici qui pointe le bout de son nez dans un foyer déjà essoufflé, là où la foi a pris le pas sur le reste et où une discipline vicié s'est installée dans cette demeure où l'on se nomme religieux, même si malgré tout tout ça tient plus de la secte secrète. Mais la petite... Elle aurait dû passer inaperçu dans cette masse, ajout banal à ce clan pieu. Mais, il y a les signes, interprétés à tort et à travers, et cette chevelure de flammes que les superstitieux diabolisent si rapidement. Le nouveau né est le seul qui n'exhibe pas cette chevelure d’ébène, ou seuls quelques reflets bruns sont autorisés.
Les regards insistants se posent quotidiennement sur la petite tandis qu'on cherche une quelconque explication à cette apparition impie. Les plus âgés montrent l'exemple : ses propres fautes, on doit les soigner avec des coups si il le faut, à force de flagellations et autres punitions corporelles qui font grimacer les plus innocents d'entre eux.
Paradoxe. Bien vite, on murmure les accusations crues à l'enfant, on l'accable, ce bouc-émissaire si facilement trouvé. On essaie tout de même de lui trouver une excuse : la gamine a l'opportunité du salut. Ils sont bien pourvus les Di Fiore et ont le luxe de leur mode de vie si particulier. Ses parents, Prosèrpina ne les voit que rarement. L'abandon de cette mauvaise naissance se fait rapidement sentir. On prend toutefois le soin de l'éduquer dans la crainte et les règles sévères de leur religion, dans les paroles déformées qui les écartent bien souvent du reste des croyants. Elle grandit et elle y croit, si fermement. C'est à la fois un refuge et son fardeau. Parce qu'elle n'est que fautive aux yeux des autres.
Dans la grande bâtisse familiale, la fillette trouve un petit réconfort dans quelques vieux disques d'arias qui traînent dans une des pièces. Sur la pointe des pieds, elle place le vinyle large sur le tourne disque et part s'enfoncer dans un des canapés. Sa voix colle à celle de la chanteuse, les paroles lui parlent désormais, autrefois obscures. Plus tard, elle fredonne sur le bord d'une fenêtre une bible entre les mains, alors que quelques unes de ses sœurs ne peuvent s'empêcher de venir l'écouter, fascinées. Voici une maigre compensation au regard des parents qui parfois daignent porter leur regard sur l'enfant, mais une voix pour leur Dieu est une voix tout de même.
A la fenêtre, elle écoute parfois la lointaine voisine qui passe quelques airs d'opéra. Elle tente du haut de ses dix ans de concurrencer les intonations lointaines, jusqu'à attirer l'attention de la dame qui lui adresse un petit geste de la main. La fillette est rapidement tirée en arrière : il s'agit là d'hymnes profanes, il est hors de question de mettre à profit de pareils absurdités un tel don. On lui pardonne la démone à la voix d'ange. On la puni lorsqu'elle fait preuve d'un peu trop de fierté, mais le rossignol continue à chanter. Ses craintes d'enfant tels que les monstres sous son lit, prennent une tout autre forme : on les nomme
vices,
tentations ou
offenses.
- Tu n'as que nous.Qu'eux et leur Seigneur. Et bientôt ce sont les drogues qui leur permettent d’accéder au salut. Les aînés montrent l'exemple, encore une fois. Le foyer a l'apparence de l'Eden perdu, une vision éclatée par l'abus de ces doucereuses substances. Les enfants sont camés, ils prêchent des vérités absurdes même au regard des autres croyants. On chuchote que les Di Fiore ont toujours été ainsi, à chercher les poisons qui enivrent les sens, peut-être même des années auparavant alors que le divin était pluriel. Mais qu'importe. Il y a toujours eut leur petit groupe, eux les exclusifs, les seuls à pouvoir trouver le salut. Les quelques rares sorties sont pieuses : l'église, rien de plus, là où elle s'agenouille, la tête relevée pour chercher un pardon qui viendra à force d'effort, lui promet-t-on. Les voyages se font à travers la foi, les prières, et les effets doucereux des drogues qu'ils ingèrent ou s'injectent. Puis vint l'âge de raison.
On lui autorise une sortie. Le choix est hasardeux, mais finira par la marquer : elle finit par s'engouffrer dans le temple des arts. Voici que les passions cachées reviennent avec force lors de la découverte des silhouettes peintes. Il y a une sainteté dans ces scènes sorties du livre sacrée. Mais pas seulement. Elle vagabonde dans les salles, devant ces petites fenêtres, ces aperçus d'un autre temps. L'atmosphère est grisante tandis que les visages défilent sous ses yeux. Pensent-t-ils ? Ont-t-ils existé ou ne sont-t-ils qu'un amas de bouts corps hétéroclites volés à quelques modèles des temps anciens ? Elle mine les positions, joint les mains dans une prière muette. L'audace lui prend même de chanter quelques chants entendus à la sauvette, religieux ou non : ce sont là les illustrations des chants autrefois entendus ! Son visage est l'étrange reflet de ces peintures immuables. Prosèrpina tournoie allègrement,sautille presque, submergé par la passion ardente et la folie que contracte les artistes. Elle se laisse soudainement tomber sur un petit banc alors que ses pupilles effleurent une toile inconnue.
Pietà. Le tableau fait l'objet d'une attention toute particulière. Le temps semble s'écouler plus lentement avec cette attentive observation. Puis, l'inconnu soudainement apparaît. La jeune fille se demande si il ne s'agit pas d'une étrange apparition, d'un personnage s'était soudainement arraché de sa toile. L'esprit embrumée par cette existence si particulière lui joue quelques tours, mais elle revient vite à la raison et lui adresse un petit sourire. Voilà que sans une hésitation, elle commence à lui parler, à décrire chaque tableau aperçu, à désigner les petits détails que les autres visiteurs peuvent ne pas avoir remarquer. Puis les couleurs ? Avez-vous vu les couleurs ? Bien sur. Il doit les connaître ces peintures. Mais vois-t-on quelque chose de différent à chaque visite ? Elle en est persuadée. Il faudra revenir, elle en est sure. Mais revenons à ces visages ? Ils devaient se douter qu'on les observeraient ainsi, cherchant une quelconque fontaine de jouvence à travers les portraits figés qui traverseraient le temps. Le flot ne se tarit pas avant qu'elle ne lui ait fait part de toutes ses pensées. Elles se déversent, tentent de pallier par l’intérêt profane aux méconnaissances. Mais qu'importe non ? Après tout c'est le ressenti qui compte, et ce lien privilégié avec ces œuvres qui lui chuchotent quelques secrets, elle en est
persuadée.
Prosèrpina est revenue, comme elle en avait fait la promesse. Alors que les années s'égrènent, la jeune femme y retourne, une fois par an, lorsque sonne le passage tant attendu. Son choix questionne et surprend, mais on lui accorde. La seule faveur dans cette existence rythmée par les accusations, voici qu'on daigne lui accorder un jour par an pour s'arracher à la prison familiale. Elle s'assoit à la même place, devant la Pietà, sur ce petit banc où
il vient la rejoindre. Quelques détails ressortent. Quelle est donc cette silhouette ou cette trace en arrière-plan ? Le peintre a sans doute voulu se représenter. Oui,
elle en est certaine. Elle sourit, lève la tête, observant le visage du sans-nom. Le cadre est idéal et l'attente intenable jusqu'à la prochaine fois. Un fil fin les unit, se dit-t-elle, celui de la passion innocente pour l'art, pour tout ces visages tournés vers eux qui les regarde avec joie, souffrance ou morgue. La journée passe bien vite, et à la fin, né dans son sein l'espoir certain des retrouvailles à venir.
La peinture dégouline le long des toiles et des faces, pourtant faites de chair et de sang. La dose était trop forte. Sans doute. Ses bras sont en feu et quelques ombres l'observent. Pourtant, elle est seule. Ce sont les damnés qui reviennent de l'enfer, les quelques morts observés, et celles imaginés. L'une est plus grande que les autres, masculine, mais est dépourvu de visage. Prosèrpina. Le prénom est affreux, il n'est que le témoignage d'un récit, d'un affront, ou bien l'étrange prophétie d'un destin enveloppé par la mort. Les mots se bousculent dans son esprit. Non, ce ne sont plus des mots, juste des notes, une mélodie tenace qu'elle sifflote en s'enfonçant dans l'obscurité. Elle est désormais Prima Donna de son propre Enfer, à entonner des chants qui sonnent si faux désormais. La jeune femme repense aux années passées, à sa piété qui dirige sa vie. Les hommes sont repoussés pour la virginité conservée.
Elle décide, comme les siens, de ne pas nommer ce qui l'enfonce dans les ténèbres. C'est leur nectar voilà, tout, non pas ces formules chimiques qui s'alignent sans aucun sens. Et maintenant la nymphe s'approche grâce à lui de l'ailleurs, de l'enfer. Y est-t-elle donc vouée ? Quelque chose éclate alors que l'histoire se délite dans son esprit.
Prosèrpina e Pluto. Tant de fascination pour la mort... c'est sans doute cela qui l'a amené à pousser ses limites, inconsciemment. Pourtant, ni le paradis, ni l'enfer décide de la clamer. Seul son esprit glisse et se brise. Voici la veille de son anniversaire et le sort a décidé de lui jouer un bien triste tour. Les portraits s'effacent au loin alors qu'elle pousse un long râle, suivi d'un cri qui ameute les curieux de la maisonnée.
Il Diavolo. Les soupçons sont confirmés. On se félicite, malgré le malheur, de la méfiance instaurée à l'égard de la rousse. Livide, sa chemise de nuit trempée de sueur, elle se tord, et tente d'esquisser un appel à l'aide. La foule des frères et sœurs s'amasse dans la petite chambre, du moins ceux qui peuvent tenir debout pour se placer à son chevet. On crache, on injurie. Ce sont ses faiblesses qui ont causé sa chute, la matrone profère quelques insultes à l'égard de la monstruosité engendrée.
La putain du diable, chuchote-t-on. On l'attache à son lit par sécurité, alors que le manque lui fait perdre la tête. Quelqu'un - le visage est encore trop flou - vient à son secours et lui accorde une prise. Mais, elle doute : peut-être qu'elle l'a juste imaginé. Dans cette amas de pensées, à travers ces visions déchaînées, Prosèrpina continue à jouer inconsciemment le rôle pour lequel on l'a choisi. La vie est un théâtre et la voici à débiter inconsciemment ses lignes, elle la Proserpine qu'on a choisi de par sa chevelure de feu, pour représenter le plus obscure dans cette secte d'égarés. Elle, le mauvais signe, qui après l'avoir soigné à coups de bénédiction et de tentatives d'exorcisme improvisé, on envoie chez les lunatiques, les fous et les psychotiques :
Après le purgatoire, la descente en Enfer. Il a une petite chapelle à l'extérieur. Laissée à l'abandon, quelques uns des patients y sont pourtant autorisés. Des ronces ont commencé à s'introduire à l'intérieur, et les bancs, imprégnés par l'humidité ambiante, ploie sous le poids de ceux qui s'y assoient par mégarde. Seul une visite par moi est autorisée. Pourtant, nombre sont les croix qui ornent les murs décrépis de l'asile. On y erre tous, patients comme infirmières, les premiers un peu moins bien loti que les seconds. C'est un méli-mélo de caractères et de maux qui font douter sur la légitimité de l'endroit. Avec les uniformes et les vieux meubles, on se croirait à la fin du dix-neuvième siècle. Ici le plus dangereux est aux côtés de celui qu'on a égaré en ces lieux, comme Prosèrpina. Mais la magie de la science a permis d'abrutir tout ce petit monde. Hagards, ils vagabondent dans l'établissement. Elle a troqué une drogue pour une autre, plus insidieuse celle-ci qui au lieu d'exciter les sens, les endort. Une année, deux années, trois années, s'écoulent. A ses anniversaires, elle a parfois la chance de pouvoir se rendre dans la petite chapelle, dés fois elle se contente de fixer le mur, étourdie par les médicaments, à s'imaginer
ailleurs. De temps en temps, elle l'aperçoit et se rapproche au souvenir de son visage et de sa voix, de leurs discussions qu'elle rejoue en pensées.
Voici ce qui lui reste avec ses prières. Les échanges sont imaginés, parfois, elle parle à un autre malade, mais le délaisse aussi rapidement. Ce n'est pas la même chose, et il n'y a ici aucune peinture si ce n'est les dessins frénétiques esquissés sur les murs. Ce n'est pas la même chose. Au bout d'un moment, Prosèrpina finit même par l'apercevoir. Son esprit, impitoyable, la nargue et lui joue quelques uns des tours dont il a le secret. Pour se retrouver, la jeune femme chantonne quelques uns des airs pieux qui sont rapidement raillés par une camarade. Une des rares âmes pures de cet endroit l'y encourage, une stagiaire infirmière amatrice de musique et d'opéras. Elle tend à la jeune femme hésitante quelques feuillets, la supervise dans ce petit atelier de chant qui est le premier et sera sans doute le dernier dans cet asile. Mais ce n'est qu'une courte fenêtre dans cette existence, et bientôt la voici disparue comme tant d'autres auparavant comme si cet endroit aspirait tout le bon que l'on pouvait trouver sur cette terre.
- Alors.... On a trente-cinq ans aujourd'hui ?
La voix se veut maternelle. L'infirmière est pourtant sans pitié. Le sourire narquois qui se peint sur le visage de la rouquine la fait se reculer. Que veut-t-elle ? Songe Prosèrpina, narquoise alors que sa geôlière pose quelques pilules devant elle. Mais l'odieuse ridicule lui a certain offert un beau cadeau. Une idée, qui commence à germer dans l'esprit de la jeune femme. Les médicaments sont vite recrachés alors que pour la première fois depuis des mois, son regard innocent sur sa situation possède une clarté troublante.
Quelques heures plus tard, encadrée par les ombres nocturnes, elle cavalcade dans la forêt qui entoure l'asile. La jeune femme a passé la chapelle, avant de s'enfoncer dans ce refuge forestier. Il ne faudra pas longtemps avant qu'il ne l'attrape mais tant pis. Ce qui l'inquiète ce sont ces bruits, ces formes qui se découpent dans cette sauvagerie naturelle. Elle se demande si il s'agit d'hallucinations ou bien de la réalité trop tranché. Cette folie n'est pas passagère, bel et bien ancrée dans son âme et la liant à cet endroit maudit. La rupture est rude mais pourtant il faut s'enfuir. Il ne lui faut pas longtemps avant de s'arracher à l'étreinte de la forêt alors que le jour commence à peine à pointer, accompagné de quelques gouttes de pluie. Une cloche sonne, et une église pointe à l'horizon. Le voilà son signe.
***
Le prêtre écoute silencieusement. Essoufflée, elle se tait. L'histoire est faite écho elle-même. Impossible d'omettre tout ces détails, voici toute l'existence qui est passée par sa bouche délicate. Il se contente de peu de mots et c'est ce qu'elle souhaite. Une bénédiction et quelques prière à prononcer en pénitence. Prosèrpina déboule du confessionnal. Les recherches ont dû cessé pour l'instant, l'orage est proche, la pluie se déverse sur Florence avec une force sans pareille. Sans crier gare, elle déboule du petit confessionnal, adresse ses prières précipitamment avant de sortit d'un pas précipité de l'église. Une fois dehors, elle se met à courir. Ses ballerines claquent sur le sol pavé. Le poids lourd de la confession négligée a quitter sa poitrine, mais aussi vite rentrée dans ce monde si familier, aussi vite elle en est sortie.
Ce n'est pas là qu'elle trouvera ses repères, son repère. L'attente a été longue, et voici que la jeune femme continue à s'accrocher aux souvenirs du musée, des peintures, et de leur gardien. C'est ce havre qu'il lui faut retrouver, entretenue par des années dans cet enfer, dans l'oubli et la méprise. Alors que l'église, ce refuge temporaire, était calme malgré la présence des fidèles, la foule dans laquelle la jeune femme s'enfonce n'est que vacarme. L'enfant est sauvage et farouche. La nymphe se perd dans cette masse dont elle n'a jamais fait partie. Et voilà qu'après des années de cauchemars éveillés, enfermée dans son propre esprit, elle est confrontée à l'effervescence de la grande ville. Ses mains se crispent, et elle ferme les yeux. Une voix l'appelle, on s'inquiète mais elle se contente d'un petit geste de la tête. Pourtant, Prosèrpina ne recule pas. Elle respire doucement, alors que la pluie cesse peu à peu. D'une voix appuyée, l'évadée pose quelques questions, d'une voix peut-être trop aiguë. On lui répond, fort heureusement. La voici en route. L'image de l'endroit est toujours solidement ancré dans son esprit et lors qu’après une bonne heure de marche, elle atteint le bâtiment, il n'a pas changé. Prosèrpina n'a pas un sou, mais à force d'ingéniosité, elle se faufile, ombre parmi les ombres jusqu'à atteindre l'endroit dont elle a tant rêvé. Silencieusement, la femme se laisse tomber devant le tableau.
Trente-cinq ans, à un jour prés... Ce n'était pas tant pour le symbole, que la motivation de partir le jour de son anniversaire. Celui-ci est passée mais pas cette envie farouche de liberté, de retrouver un passé un peu plus lumineux. La folle, la sorcière, la putain vierge, la magicienne, quelque soit le nom sous lequel on la connaît, Prosèrpina s'est arrachée à l'étreinte de la folie et à cet endroit où errait les damnés dans l'espoir, peut-être, de revivre les moments passés. Il n'est peut-être pas présent aujourd'hui, mais l'espoir pointe au creux de son ventre. L'égarée a les tableaux, maintenant elle veut le voir, lui le prince, l'ombre déformé à travers les rêveries. Elle a changé, mais pourtant, assise à cet endroit, il lui semble retrouver cette jeunesse perdue, à fixer les tableaux, et à évoquer cette passion nouvelle, à lui l'inconnu. Soudainement, quelques pas résonnent dans la salle vide. Elle n'ose se redresser et pense à peine à sa tenue, à sa robe déchirée et détrempée, à sa crinière rousse ébouriffée.
Peut-être est-ce lui ? Pense-t-elle. Le conte reprend vigueur dans son esprit alors que l'idéal se prépare à se superposer au réel. Bientôt, elle pourra l'apercevoir, étincelant dans son royaume fait de pigments et de toiles, de vieux couloirs poussiéreux. En attendant, le moindre bruit l'observe et les résidus de folie dansent encore dans son esprit. La déception l'étourdit lorsque le visage apparaissant n'est pas le sien.
Oui... Peut-être.
Bientôt.Prosèrpina le reverra ce héro imaginé , rêvé pendant toutes ces années. La pieuse se raccroche à ses souvenirs à travers cette présence en ombre qui se projette sur la toile de son existence. Elle ne verra pas les ténébres ou les tâches carmines qui maculent ses habits. C'est ce hérault de mort. celui chez lequel, par une morbide curiosité, la démente ira chercher un peu de réconfort, une figure imaginée afin de lui offrir une présence pour combler qu'elle ne saurait définir. Derrière ce corps marqué, il y a autre chose pourtant, elle le sentira bien, ne cherchant toutefois pas à connaître ses secrets. Cela ne sera pas par crainte, juste de par l'espoir vif qui brûle au creux de ses entrailles. Elle se tiendra encore et toujours, nymphe encerclée par la mort jusqu'à ce qu'elle soit tirée aux tréfonds des enfers.