hurricane ▲ (ottavia)

Elle aurait dû mourir cette nuit-là, comme une cigarette écrasée. Quelques cendres laissées au vent. Le mégot sur le trottoir, près de la merde des chiens. Couvrant l'odeur de son cadavre. Les coups de Giuseppe étaient violents ce soir mais ils n'ont pas suffi à l'achever. Peut-être bien l'habitude de la pute ou l'usure du vieux. Lequel a fini par abandonner en premier ? Lui, toujours lui. Chaque fois que son sang giclait, elle riait à s'en mordre la langue. Coupable d'une euphorie indescriptible. Ça le rendait fou et Ottavia le savait. Une évidence lisible sur le revers de ses cicatrices. Son corps étendu au sol, inerte, il la pensait morte. Ses poumons se soulevaient à peine, les côtes cassées, l'échine ployée. On ne l'entendait pas respirer. Ses lèvres fissurées ne frémissaient plus. Et son souffle absent se perdait dans le silence de son agonie.

Elle était presque morte.
Presque. Pas assez.

Un râle pour soulever le doute. Il en finirait au petit matin, une balle dans la tête. De l'histoire ancienne. Sauf que la rumeur s'est propagée comme la peste du nouveau siècle. Et sans qu'il ne comprenne le pourquoi du comment, sa marchandise a pris de la valeur sur le marché. Une catin qui tue son client, ça fait des ravages chez les timbrés. Parce qu'ils ne vivent que pour leur putain de folie déguisée au coin d'un sourire qui côtoie l'orphelin et le bourreau. La sauvageonne est passée d'une maison close à une autre. Sans trouver un pieu sur lequel crever. Un nouveau foyer se dessine. Propriété des Donatello. Comme un collier de perles qu'on attache autour de son cou. Avant que le fermoir ne se brise subitement. Doux rappel de son enfance volée dans les draps du premier. Folie naissante auprès de son tortionnaire. Premiers symptômes. Elle aimait la violence, l'aime encore plus aujourd'hui. Cette rage malsaine qui court dans ses veines. Jusqu'à submerger tout son être. Pour se rapprocher de la mort. Et surtout, donner le coup final.

L'orchestre joue ses dernières notes.
L'instrument entre ses doigts.
Elle tire sur la corde.

Maman aurait détesté. Au combien. Toujours à se plaindre sans jamais rien faire. Si ce n'est en finir avec cette vie de merde dans ce monde de merde. C'est probablement mieux ainsi, avant que son vagin n'atteigne la date de péremption. Elle n'aurait pas supporté que la petite en tire du plaisir. Pourtant la perversion est le gage de survie d'une prostituée. Quand son champ d'horizon ne se limite plus aux ordres qu'on lui donne mais aux décisions qu'elle prend. A moins que ce ne soit son arrêt de mort signé de son propre sang. Il est parfois difficile de faire la différence. On pense croiser la faucheuse au détour d'une ruelle mais ce n'est que son ombre. Restant dans les parages, prête à surgir pour venir réclamer son bien. Ottavia ne lui appartient pas encore. Ça viendra, un jour chaud ou une nuit froide. Quand le vent ne soufflera plus sur sa peau. Il ne soufflera plus du tout. Ce sera un souvenir qui s'éparpillera petit à petit.

Il ne restera que son squelette.
Consumé par le passé.