Distraction | Amaury & Nico

L’obscurité avait tout envahit. Comme un monstre, elle avait rongé les ombres et les reliefs si savamment travaillés du jardin n’étaient plus qu’ébène. C’était son reflet, qui lui répondait dans la grande baie vitrée du salon, celui d’un homme au regard dur encore noué dans son costume, un verre à la main. L’ambre allumait des flammes sur sa peau et son regard. Il en avait la langue pâteuse à force de s’enfiler des doses, mais une chaleur agréable le long de l’œsophage. Une colère sourde enflait en lui, ennui et frustration mêlée. Son esprit revenait à un nom et il le rejetait avec rage. Il attendait que l’on vienne tempérer ses accès d’une bouche vicieuse, d’un corps souple. Il avait sonné le vieux diable et il y avait toujours quelqu’un pour répondre l’appel.

Le bruit des graviers devant la maison le mit en branle. D’un pas leste, l’animal traversa le salon, son verre toujours à la main puis le couloir jusqu’à la porte d’entrée. La maison aurait pu abriter bien d’autres âmes mais il y vivait seul, sans même un poisson pour venir briser cette élégante forteresse de solitude. La décoration aurait pu paraître glacée par son excès de sobriété si partout il n’y avait pas eu bois chauds et plantes pour venir donner de l’éclat aux marbres acier et surfaces vitrées. Rien ici ne recelait le moindre souvenir, ce n’était que des objets vides destinés à plaire à l’œil et le séduire. La symphonie des réminiscences se cristallisait chaque fois qu’une jeune âme en franchissait le seuil et que Nico se rappelait où et comment il l’avait fait jouir.

En ouvrant la porte il engloba aussitôt son visiteur d’un regard acéré et critique, ses lèvres barrées en une fine ligne et presque blanche. L’humeur sombre. Amaury n’avait pourtant rien fait pour s’attirer son opprobre, bien au contraire il était l’un de ses favoris. L’un qu’il pouvait flatter de ses coups de reins plutôt que de perdre du temps à le façonner de ses poings. L’évaluant toujours, il avala une autre gorgée de scotch, qu’il déglutit avec lenteur. Son regard froid se déporta ensuite vers le chauffeur, qu’il congédia d’un geste impatient de la main. Il ferait appeler un taxi pour le jeune homme quand il en aurait assez de lui.

« Ne dis rien, je sais que tu es en retard à cause du chauffeur. J’ai surveillé son itinéraire. Il est viré. » Dit-il en s’effaçant pour le laisser pénétrer dans la demeure, son regard de loup toujours accroché à lui. Nico ne laissait rien au hasard et il en avait les moyens. Habitué depuis trop longtemps à ce que le moindre de ses caprices soient satisfaits, il avait continuellement mis plus haut la barre de ses exigences. Son harem le savait, Amaury le savait. Il glissa ses doigts derrière la nuque du jeune homme, son pouce contre sa joue et l’étudia cette fois avec un rien de chaleur, bien qu’il demeurait cette acuité qui cisaillait jusqu’aux tréfonds de son être.

« Hum… plutôt brouillon comme rasage. » Il fit claquer sa langue en réprobation, et saisissant le menton du jeune homme entre ses doigts, le fit incliner pour mieux l’observer. Son inspection achevée, un lent sourire vint étirer ses lippes. Alors qu’il réclamait à ses jouets une présentation irréprochable, et surtout une hygiène sans failles, il semblait cette fois satisfait. « Ca te va bien. La prochaine fois tu laisseras un petit quelque chose de deux trois jours pas plus. » Un ordre susurré et sa forte prise se relâcha et il s’éloigna, ses pas le conduisant de nouveau au salon. « Tu peux te servir quelque chose à boire, un petit chocolat si tu veux. » Plaisanta-t-il, sa physionomie plus détendue que lorsqu’il avait ouvert la porte. Il aimait le taquiner sur son éternelle jeunesse, il avait encore la physionomie d’un adolescent.

J'aime la nuit. C'est sur cette pensée que je regarde les rues de la ville défiler devant mes yeux. J'y pense pendant plusieurs minutes. Le jour a tendance à m'ennuyer et me réserve peu de surprises. Je suis plus habitué à faire des choses que j'aime, lorsque le soir se couche. J'ai sans doute une sorte de syndrome en mode vampire. Mais peu m'importe. Il y a quelques heures, j'ai reçu une " invitation " chez Nico. Avec lui, ces invitations ne se refusent. Ce sont plutôt des convocations. Cependant, je n'ai pas de raisons de refuser. Il est tout à fait possible que demain matin, au réveil, je regrette d'avoir veillé tard. Mais tout ça en valait la peine. Ces jeux nocturnes ...

La voiture continua de filer dans les rues et j'arrive à destination. La maison de mon hôte est belle en extérieure, luxueuse même. Je ne pourrais jamais m'en offrir une similaire. Sauf si mon boss m'en fait cadeau bien évidemment, chose que je pense refuser. Je sors de la voiture, respire un bon coup et me lance dans l'entrée. Je porte une veste en cuir, sur une chemise blanche et un pantalon noir. Je me trouve assez séduisant dans cette tenue simple. Je le vois, il est là, le maître des lieux. Il vient tourner autour de moi, comme un prédateur autour de sa proie. Il m'étudie et finit par rendre son jugement.

Je me retiens avec difficulté de lever les yeux au ciel. Mon maniaque du contrôle qui suit l'itinéraire du véhicule que j'ai pris. Je me sens néanmoins désolé pour le chauffer. Je ne dis rien sur le commentaire " brouillon ". Je me contente d'un hochement de la tête, sur l'entretien des 2/3 jours. Je le suis jusque dans le salon. Je veux boire quelque chose de frais finis-je par dire. Ce sont là mes premières paroles. Je me sers quelques glaçons et une boisson alcoolisée. Puis, je me dirige vers Nico et me pose à ses côtés. Tu n'as pas encore fait de commentaires sur ma tenue, cela m'étonne de toi. En sachant que je ne risque pas de porter bien longtemps mes vêtements.

Chacun de ses garçons était particulier, Amaury plus encore. Il avait gagné son statut de petit préféré non pas seulement grâce à ses prouesses physiques mais aussi parce qu’il faisait de ces soirées en tête à tête des moments agréables pour lesquels Nico n’avait pas à se battre. S’il appréciait garder le contrôle en toute circonstance il lui était encore plus plaisant de voir l’homme réagir favorablement à ses caresses et se donner à lui sans restrictions. Cela avait rendu leurs soirées plus détendues et Nico lui accordait une certaine largesse dans son comportement. Il en avait été récompensé, Amaury ne dépassait jamais les limites. Il était insolent, mais Nico conservait beaucoup de moyens de lui faire ravaler ses excès de confiance.

« Sers-toi. » S’était-il contenté de dire en s’asseyant dans le canapé alors que le jeune homme se versait un verre. Tant qu’il séjournait chez Nico, il avait toute liberté de jouir des plaisirs qu’offrait la maison. Il y avait même une carte bleue, dont tous les membres du harem connaissaient l’existence, qui servait à commander des repas ou ce genre de choses. Des chambres, dont ils pouvaient disposer comme du jacuzzi et de la piscine. Nico n’était pas un homme tendre, il ne câlinait pas, mais il n’avait jamais laissé un de ses jouets dans le besoin. Son verre toujours à la main, il le sirota en suivant Amaury du regard. Il avait oublié depuis combien de temps ils se fréquentaient. Mais le gamin était changé depuis quelques mois.

Il posa sa boisson sur le dossier du canapé, poussant un soupir en rejetant la tête en arrière sous la remarque du jeune. Il lui adressa une œillade oblique qui le scrutait encore avec attention. « Ca te va plutôt bien. C’est une belle veste. Est-ce qu’elle te vient de Lui ? » Le patron. Jamais Nico ne serait intervenu dans cette histoire, tant qu’Amaury se montrait quand il le désirait il pouvait faire ce qu’il voulait de son temps libre. Mais il ne laissait jamais aucun détail au hasard.

« Il te change, est-ce que tu aurais des sentiments pour lui ? » Il ne put s’empêcher d’esquisser une grimace, lu qui détestait ce genre de faiblesses. « Ou est-ce que c’est juste son argent qui te fait bander ? » Demanda-t-il, en posant sa main sur la cuisse d’Amaury, en caressant l’intérieur avec insistance.

L'espace de quelques secondes, je sens cette sensation de liberté, que je ressens lorsque je suis chez Nico. Je ne dirai pas que je me sens comme si j'étais chez moi ou chez mon meilleur ami Rocco. Mais disons que je suis à l'aise ici et que je peux me permettre certaines choses, que je ne ferai pas forcément chez d'autres personnes. Je pense, par exemple, à la piscine. Je dois admettre en avoir profité beaucoup cet été à cause de la chaleur et Andover n'a jamais rien dit. De toutes façons, il était toujours remercié de cette attention.

Je me sers donc à boire et bois quelques gorgées. Pendant ce temps, mon hôte est allé s'installer sur son sofa et continue de me regarder, de m'étudier. L'éternel chasseur autour de sa proie, mais ses yeux sur moi me plaisent. Restant debout, je fais quelques pas dans sa direction. Il me complimente finalement sur ma tenue et remarque ma veste. Il me demande si elle vient de Lui, de mon patron qui est également mon amant. Je hoche la tête de façon positive en guise de réponse. Je suis à présent face à Nico, qui vient poser sa main sur ma cuisse.

En bon ou en mauvais, il me change ? demandais-je. Car je n'ai pas l'impression d'avoir changé. Peut-être suis-je un peu plus rêveur et désireux, de ce que je ne peux avoir avec mon Patron. Mais je ne vois pas d'autres gros changements. Quoique ... Mes vêtements peut-être, j'en ai plus que lorsque Andover m'a connu. Mais je n'ai pas de bijoux car je déteste ça, ou d'autres signes de richesse. Même si j'ai des sentiments pour lui, ça n'ira pas très loin de toutes façons.

Nous vivons dans un monde où l'Amour est impossible et où il faut sauver au mieux les apparences. De toutes façons, Lui (pour reprendre le terme employé par mon hôte du soir) est marié avec enfants. Je me contente donc du rôle d'amant et cela me convient très bien (pour le moment). Mais je ne peux nier l'attirance et les sentiments que je nourris à son égard, et que je me garde de dévoiler publiquement. Même si je suis peu discret la plupart du temps.

Je souris en coin, lorsque Nico me parle de bander à cause de l'argent. Je le laisse monter sa main sur ma cuisse, l'écartant même un peu plus pour lui donner le meilleur accès possible, comme une invitation. Je bois quelques gorgées de ma boissons ensuite. J'ai des défauts, comme celui d'être capricieux et chiant. Défauts que Nico connaît par ailleurs. Mais pas d'être attiré par l'argent. Je ne pense pas être si vénale que ça.

Sans quitter le jeune éphèbe du regard, Nico fouilla dans ses poches pour en sortir une cartouche en argent gravé dans laquelle il rangeait ses cigarettes et un briquet qui allait de pair avec. Aux questions d’Amaury, il se contenta d’y répondre en esquissant un sourire énigmatique. Le scrutant à travers les volutes de fumée qui dansaient devant son visage, il gardait pour lui ses constatations, nées de l’habitude d’user de ce corps juvénile. On aurait pu le croire simple esclavagiste, amateur de jouets sexuels mais il aimait tout autant cultiver leur compagnie et en la matière, Amaury ne l’avait jamais déçu. Il n’en faisait toujours rien. Mais quelque chose était bien différent. Pour lui le changement n’était bénéfique que lorsque l’on prenait le pouvoir. Ce n’était pas le cas ici. Et Nico aurait pu lui prédire un cœur brisé.

Il hocha la tête quand ce dernier constata que de toute façon c’était une histoire vouée à l’échec. Il ne serait pas de ceux qui allaient essayer de lui prouver le contraire. Il connaissait panoplie d’hommes qui aimaient se laisser aller à quelques plaisirs transversaux mais revenaient toujours bien sagement dans le giron de leur femme. Comme incapable de se défaire de créature à mamelles. Des hypocrites. Des damnées qui se condamnaient par leur seule décision. Ils étaient risibles au regard de Nico.

Son sourire s’agrandit largement et il laissa échapper un soupir quand le jeune avoua ne pas s’intéresser à l’argent. C’était un fait auquel il pouvait attester. Il profitait avec modestie des largesses octroyées par Nico. Sa main caressant fermement sa cuisse, cherchant son excitation, l’avocat haussa brièvement les épaules. « Tu es un bon gamin. Prends seulement garde à toi, ta sensiblerie te vaudra quelques bleus à l’âme. » Est-ce qu’il allait l’en dissuader ou chercher à lui interdire ? Certainement pas. Ce n’était pas dans ses préoccupations.

« Je voudrais que tu te déshabilles. Et que tu te caresses en me racontant ce qu’il te fait. Comment il te fait jouir. Branle-toi mais ne jouis pas. » Asséna-t-il, du même ton calme qu’il avait gardé tout le long de la conversation, son regard acier pétillant d’amusement. Amaury était un jouet exceptionnel, il pouvait déjà prévoir qu’il ferait taire l’animal qui rugissait en lui. Il se pencha vers lui, soufflant la fumée de sa cigarette contre sa bouche et cherchant ses lèvres doucement. Comme le loup rôdant autour de sa proie.