dream your dream // lorenzo.

« Père, j'ai encore eu des nouvelles du clan Ucello, ils ont eu des accrochages avec certains de nos membres, nous ne pouvons pas les laisser continuer ainsi. »  Son père lève à peine le regard vers lui. Lorenzo soupire. C'est toujours la même histoire. Il essaye d'être présent pour sa famille, son clan, leur réputation. Il essaye de s'investir, de montrer à son père qu'il a tant à lui donner, qu'ensembles ils pourraient faire de grande choses. Mais son père ne veut rien entendre, il regarde des vieux livres, sirotant un verre, placide et silencieux. Il n'a pas le temps, qu'il réplique, il s'en occupera qu'il dit parfois encore. Toujours la même rengaine. Pourquoi ne veut-il pas l'écouter ? Il est son seul fils, et Lorenzo est un jeune homme brillant en affaires comme en stratégies. C'est pour cette même raison qu'il est chasseur de tête, conseiller dans un cabinet de recrutement. Les gens s'arrachent pour avoir ses faveurs, les jeunes actifs rêveraient d'avoir sa recommandation pour entrer dans le monde des affaires avec un des trophées les plus prestigieux qu'il soit : son approbation. Ironique n'est-ce pas ? Tous ces jeunes hommes et jeunes femmes qui lui courent après et se démènent de charme et d'audace pour lui plaire quand lui n'a jamais réussi à ne décrocher ne serait-ce qu'un sourire sincère à son père. C'est probablement la logique infâme et cachée derrière le zèle qu'il donne dans son poste et dans le clan Caravaggio. Il veut oublier l'approbation, ce Graal, qu'il n'a jamais obtenu auprès de son patriarche. Cet amour que ses soeurs triplées ont eu, mais pas lui. Parfois il les hait, il les envie, mais il sait dans le fond que ce n'est pas de leur faute. Alors il lutte. Contre lui-même. Contre ces petites voix dans sa tête qui parfois lui suggèrent des choses terribles. Des choses impardonnables. Des choses égoïstes. Des choses irréparables. Alors il sniffe, fume, souffle, inspire ses propres produits, ces douces hypnoses qui l'aident parfois à oublier ces pensées noires, ou qui parfois les animent d'autant plus et lui permettent de lui donner des conseils et des plans stratégiques d'une lucidité implacable. La drogue, à Lorenzo, c'est quelque chose qui est inscrit dans son organisme. Une seconde mère, plus présente que celle qu'il a eu, effacée derrière la figure paternelle, effacée derrière l'attention portée à ses trois filles, effacée derrière la peur de s'attirer les foudres de Taddeo si elle venait à défendre son propre fils. Tableau ordinaire d'une famille mêlant le grotesque au sublime.  


« Tu sais comment il est Lorenzo, je lui en parlerai t'en fais pas et je le raisonnerai, te fais pas un sang d'encre pour ça. » Le conseiller de son père se veut plus magnanime et diplomate. A-t-il vraiment le choix d'un autre côté ? Il a vu Lorenzo en action, il sait qu'il a énormément de potentiel et que dans le bon contexte, il pourrait se révéler bien plus efficace et intelligent que son père. Petit scarabée deviendra grand. La formule est certes cocasse mais évidente : peut-être son père aurait-il dû se fourguer ça dans le crâne lorsque Lorenzo était plus jeune et qu'il ne faisait que le mépriser et le regarder de haut. Lorenzo assis sur un canapé de leur demeure, dans une boudoir du deuxième étage ou il vient souvent lire, fumer, boire. Une pièce souvent oubliée de la maison, son jardin secret, ou se trouve ses registres d'obsessionnel, ses tableaux achetés aux enchères, ses dessins et versets parfois. Car oui, si monsieur rechigne toute comparaison avec son père, il doit bien avouer qu'il a hérité de son père une légère fibre artistique, mais en dehors des tableaux achetés aux enchères, ne prenez pas la peine d'essayer de la découvrir, il vous la cachera éternellement. Ce serait admettre que son père ait pu lui transmettre quelque chose, une passion, un goût, et aux yeux de Lorenzo, son père ne lui a strictement rien appris. Le conseiller de son père est un des rares qui puisse entrer dans cette boudoir, même s'il n'a aucune connaissances des activités de Lorenzo dans cette pièce. Aussi paranoïaque soit-il, Lorenzo lui fait confiance. Parce qu'il a vu Lorenzo depuis qu'il est tout jeune, et parce qu'il semble le seul ici capable de défendre les positions de l'héritier et le seul capable de raisonner son père. Lorenzo préfère donc l'avoir de son côté, même si du reste ce conseiller n'est pas particulièrement bavard et vif d'esprit. Ce sont ses petites voix qui lui disent d'agir ainsi. Ces mêmes petites voix qui gangrènent peu à peu son âme brûlé d'amertume et de rancoeur pour ne lui souffler qu'une chose : tuer son père.