Giuliana Luciano (now they're laughing at our face, saying « wake up, you need to make money »)

Les corps nus s'accrochent l'un à l'autre. Un soupir s'exhale des lèvres pleines. La virilité agressant la chair tendre durcit à ce son délicat. Sous la lourde masse de l'homme, une poupée blonde frémit. Elle n'est que dégoût et horreur, malgré les soupirs et les tremblements qui mentent l'amour. Il s'y laisse prendre. Ils s'y laissent tous prendre.

Ils font tous semblant, mais ils n'abusent des corps que pour s'y laisser prendre, à ce théâtre permanent. La poupée, autrefois peintre, sculptrice, photographe, dessinatrice, est devenue comédienne. « Tu es différent des autres », susurre-t-elle, « tu es si doué, tu m'excites tellement » « frappe-moi, je sais que tu aimes ça » « allez viens en moi ordure, oui, je n'attends que toi » « viens en moi je t'aime ne pars pas oh sauve-moi... ». Tous, ils se repaissent de sa soumission, ils s'enorgueillissent d'être le prince charmant de cette putain, qu'ils ont traînée dans la boue et qui a continué de les faire jouir en les suppliant de l'emmener loin, loin.

La poupée est vide. Son âme, cachée dans un coffret verrouillé au plus profond de son coeur, elle a su l'épargner quand elle accompagnait ces hommes aux galas somptueux. Drapée de Chanel l'espace d'une soirée, elle se figurait être la princesse d'un monde hors de sa portée. Peu importaient les regards lubriques qui traînaient sur les pans de peau nue, ce qui se cachait sous les robes éthérées restait à elle. Et puis papa est tombé malade. Oh papa, elle n'a pas eu le choix, les soins coûtent si cher et tu ne peux plus travailler, elle est désolée papa, elle est juste heureuse que tu ne saches pas que son coeur a été arraché, le coffret, fracassé, son âme, dévorée.

La poupée ment de l'amour, besognée à quatre pattes dans une chambre de cinéma, ses fesses rougies par les mains larges du client. La poupée ment de l'amour aux hommes et crache de la haine sur ses toiles, vomit du poison sur ses photographies, pleure sa détresse dans son art. Elle se griffe le ventre pour en arracher l'injustice. Elle voudrait s'en tatouer les lettres hurlantes sur la peau, parce que le monde ne tourne plus rond. Elle avait été créée pour illustrer la beauté et la beauté l'a abandonnée.

Parfois elle se rappelle la petite fille qu'elle était. L'enfant blonde aux cheveux tressées rie et joue, s'extase sur un papillon qui vole, dessine des messages d'amour pour son papa chéri qui prend si bien soin d'elle. Les yeux de glace l'inspectent sans émotions ; elle n'est qu'une inconnue pour eux. La petite fille qui rêvait d'apporter du bonheur au monde est morte, remplacée par un esprit aigri de mille ans d'existence. Cependant, une étincelle illumine parfois l'arctique regard de la poupée. Aux débuts, c'était souvent de l'espoir, puis l'espoir s'est transcendé, lentement modulé en nostalgie. Aujourd'hui, la nostalgie n'est plus que colère et désespoir.