« No one can tell where your heart is. »
Qu'est-ce que l'Enfer sinon Florence ? Elle n'a jamais pu se faire à cette chaleur qui toujours plaque les cheveux sur le front luisant, fait couler le rimmel et crache au visage du monde la vulgarité de son gagne-pain. On ne voit que ça. Les hommes surtout. Elle ne peut leur reprocher tout à fait leur mépris, quand le miroir lui renvoie ce désastreux reflet. Alors même qu'un type de la clique d'Emilio la besogne salement dans sa salle de bain, elle sait que ce qui lui plait dans l'instant le révulsera aussitôt l'affaire finie. Ainsi sont les pourceaux florentins. Mais la meth commence à faire effet, le Seigneur soit loué...
« Le moins qu'on puisse dire, c'est qu't'es pas une affaire. » grogne t-il en reboutonnant vaguement sa chemise. Encore renversée sur le lavabo, il semble à Adelia que la sueur a lié à jamais sa joue à l'émail.
« Emilio a dit que c'était à moi de juger question récompense. Vu que tu t'es pas tellement donné de peine... » « Va te faire foutre... » qu'elle parvient à éructer, déjà dans les vapes. Ca ricane, la porte s'ouvre et des bribes de conversation lui parviennent depuis le couloir. Est-ce qu'un autre s'apprête à prendre le relais ?
Tout est étrangement calme tout à coup. Elle pourrait tout aussi bien rester là, immobile, dans la petite pièce plongée dans la semi-obscurité. Les volets sont toujours tirés. Ils la gardent de l'astre tout puissant quand elle s'adonne aux vicissitudes de son sexe. La porte, elle aussi, devrait demeurer close. Or l'homme venu quémander quelques ersatz de plaisir a laissé place à une ombre silencieuse, qui l'observe depuis le seuil.
« Tu devrais pas être là... » Enfin elle étire sa carcasse fatiguée, prend soudain conscience que sa jupe est toujours relevée, que l'obscénité se lit partout sur le visage et sur le corps, juste là, sous les yeux de son fils.
« Tourne-toi, que j'me... Allez tourne-toi, putain... » Le gosse ne bouge pas d'un millimètre. C'est un peu humiliant, mais ce n'est pas la première fois qu'il la surprend ainsi. Elle est en revanche plus coutumière de ses insultes et de ses bravades d'adolescent. Dieu l'avait fait sanguin et trop fier. Le condamner à rester cloitré dans sa chambre avec les Saintes écritures n'avait jamais dompté sa nature.
« T'as pas aut' chose à foutre ? C'est pas en restant dans mes pattes qu'tu le rendras fier. » siffla t-elle en se signant, la culotte aux chevilles.
« Qui ça ? Mon père ? » La mère plisse les yeux devant la glace, tente d'arranger ce qui ne peut l'être.
« Joue pas au plus con avec moi, Angelo. Tu sais qui c'est ton père. » « Olympias a salement morflé alors. » « Ta putain de langue... » soupire t-elle sans comprendre.
« Je vais te dire qui c'est mon père. Mon père n'a rien à voir avec le Tout-Puissant. Mon père, c'est ce gars-là. » fait-il en désignant la porte.
« Qu'est-ce tu racontes ? J'ai pris un truc, j'ai pas envie de... » « Aujourd'hui... Il y a seize ans... Ca a toujours été le même. Celui qui te traite comme une merde. Celui qui est toujours parti sans payer, pas vrai ? » Il s'approche enfin, et elle voit bien que son fils n'a jamais été stoïque, que cette quiétude n'est qu'un masque pour la rage divine.
« Tu vois, j'aurais pu avoir du respect pour une pute. J'aurais pu, en dépit des terreurs qu'Il te réserve pour la fin et le commencement. Vraiment, je te le jure, j'aurais pu. » « J'aime pas tes nouvelles manières. Je t'ai pas appris à te comporter comme ces enfoirés de maniaques. » « Mais comment être ton fils, quand tu ne parviens même pas à te faire payer pour cet air saturé de sueur et de foutre ? Cet air que tu me forces à partager ! » Elle voit le flingue, qui prolonge son bras. Depuis quand est-ce que son fils peut tuer ? Emilio ? Elle n'a pas même la présence d'esprit de le craindre.
« T'es v'nu me citer un passage du Lévitique avant d'me buter ? On dirait que coucher avec ta cousine ne t'aura rien appris sur les femmes. » Elle s'approche de l'être au bord du chaos qui n'a pas encore osé lever l'arme sur sa créatrice. Elle s'imagine qu'il voudra se dégager lorsqu'elle encadre son visage de ses mains de pécheresse, mais il n'en fait rien.
« Il m'a dit qu'il fallait que je le fasse. » Il lui faut encore l'observer avec l'attention que la meth veut bien lui accorder. Il y a comme une sombre résignation dans les iris incroyables de son enfant.
« Oh, Angelo, mon amour... Mon bel ange vengeur... » murmure t-elle.
« Sauve ton âme alors. Et jure... Jure que tu nous rendras fiers, ton Père et moi. »« They didn't mentioned it in the Holy Bible. »
« C'est un connard. Et une brute. Et s'il y avait que lui, on prendrait tous un aller direct pour le MoyenÂge. » « T'es restée bloquée sur cette histoire de portable... » « Pas de portable, pas de fringues normales, pas de contact avec les garçons. Plus ça va, plus j'me dis que j'vais être encore vierge en sortant d'ici. » « Je crois que c'est un peu l'objectif. » « Ouais bah je l'emmerde. Tu savais que cet enfoiré d'hypocrite s'était envoyé Laetizia le soir de la Toussaint ? » « C'est des conneries. » Mais la petite blonde ne peut s'empêcher de chercher le maître des lieux des yeux. De l'autre côté du parc, toute son attention semble accaparée par la vieille Agnesotti. Au sein de l'auguste orphelinat catholique de Florence, où elle doit admettre que le temps semble s'être arrêté il y a de cela des siècles, les rumeurs et les bruits de couloir vont bon train. Elle ne compte plus les légendaires passages secrets entre les dortoirs, les liaisons saphiques, les avortements ou autres inepties inventées pour tromper l'ennui. Et nul ragot n'épargne l'ombre des Ucello qui leur cède ce toit. Accro à la coke, athée, criminel, parricide, alcoolique, adepte de pratiques extrêmes... Il n'est pas une déviance qu'on lui prête qui n'ait été rapportée à Ofelia par ce qui lui sert d'amie.
« Et ben va le lui demander toi-même si tu m'crois pas... T'en profiteras pour récupérer mon téléphone. » balance sournoisement l'adolescente.Elle ne sait pas au juste quel instinct la pousse à répondre à la bravade stupide de Maria. Ce sont des jeux auxquels elle ne prend guère part à l'accoutumée. Contrairement à la majorité de ses camarades, les pierres qui renferment les secrets ancestraux des heures les plus fastueuses de Florence lui siéent à merveille. Et cet homme qui les révulse tant la fascine depuis qu'elle est en âge de s'extasier sur la perfection des âmes et des corps de truands engoncés dans l'habit de la plus originelle pureté.
D'abord, la jeune fille reste à bonne distance, attend qu'il prenne congé de la société puante dont il s'entoure en ces lieux. Il s'évanouit bientôt dans les entrailles de l'orphelinat et ce n'est qu'au moment où il sort tout à fait de son champ de vision qu'elle se met à le filer. Il n'y a qu'à voir comme il a fait de cet endroit son royaume. Il est évident, à ses yeux, qu'aucun autre être n'a jamais été en communion avec Dieu avant lui. Il s'est engouffré dans la petite chapelle, déserte en cette heure de l’après-midi. Longeant les murs, elle s'applique à ne pas faire de bruit. Le tissus se froisse à l'intérieur. Tant qu'elle n'est pas entrée, il est encore temps de se tirer et d'inventer un mensonge de son cru pour Maria.
« Qui que tu sois, si tu ne te montres pas immédiatement, je viens te chercher moi-même. Et tu ne vas pas aimer ça. » Ofelia plisse les yeux, maudit sa propre bêtise mais n'attend pas le deuxième avertissement pour se planter dans l'encadrement de la porte. Le père Velucci se retourne vaguement. Il a quitté la religion pour le commun et la chemise a beau être des plus sages, la jeune fille est tout à coup prise d'une vive émotion. Lui ne semble même pas remettre ce visage.
« Et bien ? » Dieu qu'elle voudrait avoir l'impertinence des filles de son âge, de celles qui imaginent des prétextes invraisemblables qui ne déguisent rien sinon leur inconséquente jeunesse. Or rien ne vient. Et elle n'a même plus l'audace de soutenir le regard qui la tient en joug. C'est le silence, plus que tout, qui retient enfin son attention. Un miracle n’est il pas censé se produire, là, tout de suite, pour la sauver de cet inextricable piège dans lequel elle s'est jetée toute seule ? Le soudain intérêt qu'elle a éveillé lui souffle qu'il est déjà trop tard.
« Tu ne sais pas plus que moi ce que tu fais là, hm ? » Elle hausse un sourcil, surprise par la bienveillance de l'homme qui, curieusement, s'est appuyé contre l'autel.
« Et tu ressens comme un trouble indicible... Comme un vrai grand frisson. » « Les lieux sacrés m'ont toujours fait cet effet. » ose t-elle courageusement. Il sourit enfin.
« Si on est tout à fait sincères l'un envers l'autre, et Dieu seul sait que c'est tout ce que je souhaite mon ange... C'est le goût de l'interdit qui t'a poussée à venir ici. » Il attend qu'elle acquiesce mais Ofélia retient son souffle. L'instant est crucial.
« Tu t'es dit que ça se passerait comme dans tes prières nocturnes... Je parle de celle que tu murmures avec tes doigts, quand le Seigneur détourne le regard. » Elle lutte, en vain, pour qu le feu ne lui bouffe pas littéralement les joues. Lui s'en amuse.
« Un simple drap, une infinie tendresse non dénuée de passion et la Croix pour consacrer notre union... commence t-il en étirant sa carcasse, tendant le bras pour attraper ce qu'elle prend d'abord pour un objet inoffensif,
...c'est comme si j'y étais, vraiment. » « Vous vous m... » « ...méprenez mon père. Non. » Alors elle le voit. Le flingue qui pourrait exploser trois têtes comme la sienne, n'en déplaise à la Vierge qui l'orne.
« Les années passent et il ne disparaît jamais. Le goût de l'interdit. » Tétanisée, elle le voit s'approcher d'elle comme dans un rêve, comme s'il était l'une de ces foutues apparitions mystiques dont on leur rabat les oreilles à longueur de journée. L'arme vient déposer un baiser indécent sur sa joue déjà brûlante.
« Laisse-moi t'expliquer une chose essentielle. Lui m'a choisi, non pas pour le servir comme une femme, mais bien comme un homme, un soldat. A ce titre, nous avons établi... Comme qui dirait une sorte d'arrangement. Il y a des choses sur lesquelles il ferme bien volontiers les yeux, pourvu que tous vivent dans la crainte de Sa divine colère. » Lorsque le canon s'écrase un peu plus contre sa mâchoire, la gamine a le mérite de ne plus broncher.
« Mon orphelinat n'est pas un bordel. Que j'te reprenne dans une position aussi suggestive et je te jure sur l'honneur que tu apprendras de tout un clan ce qu'il y a à savoir sur les sacrements que tu entendais recevoir en cet instant précis. »