Ses doigts glissaient avec dextérité sur les touches du piano familial qu’il s’était évertué à conserver au fil des âges. L’onde d’abord patiente s’évadait de l’œuvre musicale avant de suinter la pièce d’une intonation malplaisante, celle de la nostalgie.
{ L’ombre d’un père plus accorte que sa présence, l’essence d’une mère rongée par la gangrène… « Luigi ! Caligula ! Descendez ! Votre père va arriver. »
Bella Della Scalla, renommée Dame Maccaroni, était une de ces fleurs flétries, malmenées par les rigueurs du temps et les quelques séducteurs qui se plaisaient à convoiter leur pétales pour mieux les leur arracher. Son bourreau avait été l’hardi Giorgo Conti Maccaroni. Il était l’incarnation limonieuse d’une hyène et d’un rapace. Les débuts n’étaient que parade pour appâter sa douce brebis, arborant sa palette de malice pour éclabousser son esprit de faste. Il lui avait arraché sa liberté pour l’agoniser dans les abscons de sa vie, l’enlisant dans un cercle de corruption.
Il était loin le temps où Bella embaumait la pièce de son charmoie. Il ne suait plus que de sa chaire meurtrie le parfum fielleux de la résignation et l’instance. Les papillons noirs enveloppaient son être dans un sentiment d’isolement. Pauvre petite fleur qui jamais ne renaîtra d’un nouveau printemps…
« Bonjour Bella… »
Sa voix lascive résonnait comme une caresse sur sa peau et lui en arrachait quelques frissons anxieux. L’agneau s’échouait ainsi dans la gueule du loup, poursuivant sa quête de la Camarde et aspirant au dernier sommeil.
« Les garçons…Venez avec moi que je vous montre comment on assigne son autorité »
Leur mère jeta une œillade inquiète vers ses mignards qui se pressaient avec une curiosité impudique. Contrairement à son demi, Luigi accusait d’une diablerie plus abondante. Leurs pas jumelés résonnaient dans les alcôves du manoir, arrondissant les angles d’un écho amorti par ceux de leur daron.
« L’éducation de ses laquais n’est pas négligeable… Si vous n’apprenez pas à tenir les rennes mes garçons, vous serez écrasés par le joug du moindre charognard qui vous baisera le trou jusqu’à la moelle… »
Ce mélange de grivoiserie et d’éloquence claquant comme une gifle contre son palais muait ses jeunes convives dans le scepticisme et malgré tout une note de convoitise, spécialement pour Luigi qui étreignait au plus grand désarroi de sa mère les traces de son patriarche.
Leur acheminement les avait convergés vers une crypte dont l’accès leur était en général défendu. Luigi se taisait bien d’avouer qu’il y avait laissé traîner son museau quelques maintes fois. L’opprobre qui s’y fécondait l’avait longtemps révulsé. Pourtant, le louvart était revenu à chaque fois, enivré par son arôme vérolée. L’atmosphère accablante qui y maraudait était pour lui comme le plus doux parfum d’une femme. Il s’en repaissait d’un désir licencieux.
Luigui épousait du regard son jumeau. Dans le secret de ses bourgeons se lisait une sollicitude. Son côté chaperon agaçait Caligula qui rouspétait de passer pour le poussin du duo. Ses doigts glissaient le long de son échine, chapeautée par quelques mèches révoltées. Une caresse qui se voulait rassurante mais les frissons qui modelaient sa peau dans un tapis décousu, érigeant ses poils à la verticale, trompait l’œil impassible de son frère. Le théâtre d’horreur qui s’exhibait devant eux, spectateurs dociles, leur arrachait un gloussement silencieux. Ligoté par des fils de clôture électrique, un homme épousait de son royal postérieur le sommet d’une pyramide en bois, souvenir innommé des supplices d’antan. Ses hurlements avaient été étouffés par un bout de chiffon galvaudé par des croûtes de son sang. Le condamné n’avait plus qu’à penser à l’Ave Maria avant d’embrasser une dernière fois le baiser du Coquin, celui-ci épousant le doux nom de Maccaroni.
{ Le bourgeon du désir naît d'une odeur...Domino des infantes aux mamelles redressées vers ses lèvres friandes, il formait l'oubli dans lequel ces âmes immolées se liquidaient, baissant le pavillon de leur orgueil pour s'abandonner dans ses bras. Certaines mesuraient les stratus de son être à l'effigie du Malin.
Depuis le berceau de son enfance, le louvart joignait à sa passion pour l'occulte un goût souligné pour les saveurs quelles qu'elles soient; le bouquet chatouilleux de sueur qui soulignait les plis des aisselles trahies par une émotion douteuse, le fumet salé du jambonneau qui embrassait la cuisante hardiesse du four, l'exquis relent matinal, et encore plus l'empyreume courtois des sylphides qui arrondissaient son agglomérat. La saveur délicate d'une femme était le plus doux des poisons. Chacune d'elles élaguait les abords d'un pouvoir saisissant. Luigi se sentait comme le plus résigné des disciples de ces louves. Il avait fait de cette obédience pour la saveur féminine son écu, faisant gronder dans les crevasses de son être la bête.
De son jeune temps, chaque fleur qui s'échouait dans sa pépinière devenait la victime de ses intempéries. La beauté artificielle de son Eden devenait marais à mesure que ces fleurs croisaient les nébuleuses de son âme. Doucement, la gangrène flétrissait leurs pétales jusqu'à la racine. Autant les coquettes bourgeoises que les asservies de la demeure familiale, les gouvernantes, servantes et cuisinières, étanchaient la pitance du louvart. On ne parlait pas d'acte purement sexuel...Loin de là mes agneaux. Se repaître exclusivement de la chaire de ses louves ne représentait aucun liesse pour lui. Il les façonnait. Elles étaient comme des trophées. Il devait les ébranler dans leurs fondements, labourer leur antan pour articuler en elle l'excellence. C'était la gésine d'un chef d'oeuvre. Il était le berger, elles ses brebis. Il n'était pas le vieux chacal vénal qui se délectait des dentelles de ses donzelles. Loin de cette image que l'on se représentait généralement du berger, Luigi se contentait d'éduquer ses infantes pour atteindre le lentigo. Sous ce dessein maculé, il n'y avait pas que l'unique but d'étancher son desiderata de perfection. Derrière l'éclat inquiétant de ses orbes charbonnées jouissait le désir des acquis. Une femme pouvait arracher de son partenaire le moindre petit secret, aussi honteux qu'il soit, une fois qu'elle maîtrisait l'art du langage et du corps. Une caresse, un sourire ou un regard était le plus bel outil d'une femme, à condition de savoir l'utiliser. C'est là qu'intervenait le berger, le bourreau de ces princesses du demi-monde. Poètes des rumeurs de Florence, le louvart maîtrisait également l'art des odeurs. Berger et parfumeur, il semblait pouvoir domestiquer le coeur de l'humanité.