≈ olivia ; the living are hungry

2006 ▬ Elle est là, assise sur une chaise à attendre, avec les cheveux devant la figure on ne verrait presque pas l’état de son visage, de sa pommette qui vire déjà au bleu et ses mains cachées dans son pull, on ignorerait que ses phalanges gauches sont abimés, rougies et égratignées à cause des coups à répétition qu’elle a donné quelques minutes auparavant. Olivia, cette petite poupée à taille réelle qui a toujours refusé être une princesse. C’est une enfant sauvage qui ne sait pas comment faire d’autre pour qu’on la regarde, pour qu’on l’écoute, pour qu’on la laisse tranquille autrement qu’en cognant. C’est une enfant miniature, plus petite d’une bonne tête des autres garçons, de ceux à qui elle s’en prend avec rage. Sur cette chaise, elle n’est plus en colère, elle retrouve sa place d’enfant et Olivia attend qu’on vienne la chercher, que son père débarque et l’emmène loin de cette école dans laquelle elle étouffe. C’est la 5e en un an, rythmé par ses renvois et les déménagements incessants, même ici on sait qui elle, loin de sa Florence natale. Et puis il arrive, son père arrivant dans les couloirs, elle n’ose même pas le regarder et continue à fixer le dallage du sol jusqu’à qu’il ressorte du bureau du proviseur dans lequel elle n’est pas conviée. Mais Olivia sait déjà ce qui va s’y dire, elle n’a pas besoin d’être invitée pour le deviner, ça va être le refrain habituel, celui qui dit qu’il doit résonner sa fille, qu’elle doit cesser de se battre, qu’ils savent que ce n’est pas facile pour elle, pour lui et qu’il y a des solutions pour remédier à ça. Il ressort avec toujours ce même visage et Olivia se lève de sa chaise, le suit jusqu’à la voiture en restant silencieuse. C’est sur le trajet du retour qu’elle retrouve sa voix douce et fluette, la voix d’une fille de son âge un peu timide. « Il a parlé de maman… » C’est pour se justifier, comme si c’était suffisant pour oublier qu’elle venait de fracasser un nez en plein milieu de la cour. C’est rare que Olivia parle de sa mère, c’est toujours douloureux pour elle de l’évoquer même si elle prétend le contraire, ses actions prouvent le contraire, c’est son cri de détresse mais elle se braque dès qu’on évoque sa génitrice. Lâche, elle a abandonné Olivia à la naissance à cause de ses conneries, de la prison. C’est dur de se former sans figure maternelle.


2014 ▬ Elle souffre du décalage horaire, les yeux cernés qui traduisent une nuit trop courte. Olivia, elle ne prête même pas attention au soleil qui frappe sur sa peau, à la langue différente qui résonne dans les rues mais qu’elle connait par cœur. Elle est fatiguée, épuisée, elle se contente de faire rouler sa valise dans l’aller pour retrouver cette maison qui l’a vu grandir mais qu’elle n’avait pas revu au cours de ces derniers mois. Il y a une poignée d’heure, elle était à l’autre bout du monde, aux États-Unis d’Amérique, là où elle avait suivi son père pour la énième fois, mais il avait merdé, Olivia ne sait pas pourquoi mais elle sait qu’il a merdé. En dix-neuf ans, rare sont les fois où elle avait pu le voir dans un tel état et c’est pour ça qu’elle n’a pas posé de question, qu’elle a tout foutu dans sa valise et qu’ils se sont sauvés comme des mal propre pour retrouver sa Florence natale. Le pas lent, mécanique, elle retrouve le chemin de sa chambre, toujours aussi silencieuse et se laisse tomber sur son lit poussant un long soupir. Olivia reste ainsi pendant plusieurs minutes à fixer son plafond d’un blanc immaculé. Elle ne sait pas trop quoi penser de ce retour, d’une certaine manière elle se plaisait aux États-Unis, elle était même parvenue à arrêter de sa battre, là-bas elle n’était personne, seulement cette fille à l’accent chantant. Elle aurait pu rester là-bas, elle y a songé même, dire à son père de rentrer en Italie et elle, rester aux USA. Mais quand il s’agit de prendre son indépendance, Olivia a toujours cette petite boule dans le ventre, son père c’est tout ce qu’elle a, son semblant de vie normale et de stabilité elle le doit à lui. Elle finit par se relever de son lit, sort de sa chambre et s’appuie contre l’encadrement de la porte du salon. « Je reprendrais pas les cours. » Olivia balance ça sans préavis, comme une bombe qu’elle fait éclater en plein milieu de leur domicile, elle ne veut pas de sa bénédiction, elle le prévient simplement que non, elle n’irait plus à l’école, pas d’université italienne pour elle. La fac ce n’est pas comme l’école primaire ou le collège si elle cogne une personne, elle sait qu’elle n’aura pas de seconde chance et que dans cette ville tout peut partir très vite au quart de tour.


2016 ▬ Son œil dans l'objectif de l'appareil, ce nouveau joujou qu'elle venait d'acquérir pour ses vingt et un ans, un cadeau de son père. Mattia est ce qu'il est, loin d'être le père le plus affectif du monde, il a toujours été derrière sa fille, maladroitement, mais Olivia aime se dire qu'ils sont maladroit ensemble. « Il est génial. » Souffla-t-elle en parlant du dernier Reflex sur le marché, il devait coûter une blinde, elle n'ose pas lui demander. Il l'a toujours gâté, sans doute pour compenser les déménagements, l'absence de sa mère et ses horaires de travail ingrat. Il rentrait tard, en plein milieu de la nuit la plupart du temps. Olivia, elle n'a jamais demandé les raisons de ces heures ingérables, elle n'ose pas, elle a peur de ce qu'elle pourrait savoir ou simplement qu'il refuse de lui dire pourquoi, alors elle sourit devant son cadeau qui sera sans doute le plus utile de tous les cadeaux qu'elle puisse avoir. Elle juge la prise en main, le poids de l'objet et s'amuse dans les réglages avant de pointer l'objectif en direction de son père. « Sourit ! » Son doigt presse doucement sur le déclencheur, le tout rapidement suivi par un flash aveuglant. Si elle s'extasie devant la rapidité d'action, elle sait que son père sera sa première photo avec l'appareil et ce n'est pas anodin comme décision, elle aurait pu prendre n'importe quoi d'autre à la place et rester tout autant admirative devant l'objet. Mais, à chaque nouvel appareil qu'il lui offre c'est lui, à chaque fois, sa première photo.